LE QUOTIDIEN : Quels messages les Académies des sciences lors de leur G7 ont-elles adressés aux gouvernements ?
FRANÇOISE COMBES : Trois positions ont été portées : les technologies de pointe et la sécurité des données ; un cadre migratoire viable ; l’action climatique et la résilience en matière de santé.
Sur le premier sujet, les secteurs du big data et de l’IA sont très productifs et ouvrent, par le traitement de milliards de données, des progrès dans de nombreux domaines, y compris en médecine. Mais ces technologies comportent des inconvénients à prendre en compte, comme le risque de piratage et de cyberattaques, qui concernent même les hôpitaux. Ces technologies ont aussi des biais de genre ou de race ou d’âge et il est nécessaire de veiller à ce qu’ils ne persistent pas dans les applications développées. Tout le monde était d’accord sur les recommandations émises.
Même si nous arrêtions notre production de gaz à effet de serre, il y a tellement d’énergie dans l’atmosphère que la température continuerait à augmenter
La deuxième position rappelle que le réchauffement climatique est là pour durer. Même si nous arrêtions notre production de gaz à effet de serre, il y a tellement d’énergie dans l’atmosphère que la température continuerait à augmenter. Des mesures de court terme sont à envisager pour prévenir les problèmes de santé à venir : la végétalisation des villes, la lutte contre la pollution atmosphérique, l’isolation des bâtiments, la préservation de la ressource en eau… Onze recommandations sont émises. Là encore, tout le monde a signé.
Sur le thème des migrations, le consensus n’a pas été atteint. Beaucoup de questions ont pourtant été discutées, en particulier sur les bénéfices pour la personne qui migre, souvent en raison d’un conflit armé ou de problèmes économiques, et pour le pays d’accueil, qui choisit souvent des populations qui seront utiles à l’économie. Le sujet est source de désinformation et suscite un certain rejet de la part des populations en place, alors qu’en Europe ou aux États-Unis, le phénomène ne concerne que 0,4 % de la population. Les étudiants sont ceux qui migrent le plus. Au Canada, cette migration a progressé de 70 % en dix ans par exemple. En France, les thésards sont à 40 % des étrangers. La plupart repartent dans leur pays d’origine. Ces mouvements contribuent aux échanges scientifiques.
En France, les thésards sont à 40 % des étrangers et la plupart repartent dans leur pays d’origine. Ces mouvements contribuent aux échanges scientifiques
Trois pays n’ont pas signé : les États-Unis, mais aussi le Royaume-Uni et l’Allemagne. Dans la discussion, les Britanniques ont été très proches d’ajouter leur signature. Les Allemands ont argué que le texte n’était pas assez scientifique. Pour les États-Unis, la question était politique, l’administration Trump interdisant l’usage de certains mots.
Est-ce fréquent que des pays ne signent pas une série de recommandations ?
La situation me surprend et m’interroge. Beaucoup de discussions ont eu lieu, des propositions d’évolutions ont été faites. Le processus de rédaction est long. Mais, à chaque réunion de ce G7 scientifique, certains pays ne votent pas certaines résolutions. La France sera le prochain pays organisateur. Nous commençons déjà à rédiger les déclarations. Elles feront l’objet de nombreux allers-retours, de modifications, de discussions entre experts. Espérons que ce processus aboutira à un consensus.
Comment les thématiques sont-elles choisies ?
Le programme est déjà réalisé pour 2026, avec un sujet choisi par le pays hôte. Nous avons opté pour la constellation de satellites, qui suscite un intérêt militaire, mais aussi civil. Un nouvel espace s’ouvre avec des acteurs privés et une baisse importante des coûts.
Pour la deuxième thématique, il a été convenu d’en retenir une qui a déjà été abordée plusieurs années auparavant pour dresser un bilan de l’appropriation des recommandations par les États. L’an prochain, ce sera l’Arctique, un choix important dans le contexte politique actuel où le Groenland est ciblé par les États-Unis.
Le dernier thème a été obtenu par vote de l’ensemble des pays. Ce sera la santé mentale, alors qu’on observe une hausse des troubles dépressifs et anxieux notamment chez les jeunes. L’Académie va produire un rapport prochainement. Un premier texte sera soumis au G7 à l’automne.
L’ensemble des pays a voté pour la santé mentale comme thème du prochain G7 des sciences
Comment les positions du G7 des Académies sont-elles diffusées ?
Chaque Académie est chargée d’assurer la communication autour des recommandations. En France, elles sont transmises aux ministères concernés et aux décideurs politiques. Nous organisons des conférences, diffusons des publications… On peut considérer que c’est insuffisant, mais la question est de savoir comment les recommandations sont prises en compte. Tout ce qu’on dit relève de connaissances acquises, même dans le grand public. On apporte notre appui pour que les choses aillent plus vite.
Les annonces de l’administration Trump pour la science sont toutes aussi incroyables les unes que les autres (…). On peut s’étonner du manque de réactions
Comment analysez-vous les attaques actuelles de l’administration américaine contre la science et la recherche ?
C’est un énorme problème, avec depuis plusieurs mois maintenant, des annonces toutes aussi incroyables les unes que les autres. La récente demande de l’administration Trump à Harvard de ne plus prendre d’étudiants étrangers est absolument incompréhensible dans un pays connu pour accueillir de nombreux étudiants étrangers et où les universités peinent à recruter des étudiants américains.
On peut s’étonner du manque de réactions du monde scientifique, notamment de l’Académie américaine des sciences. Une organisation pourtant puissante, mais qui n’est pas indépendante. La plupart de son budget vient de l’administration fédérale. Il y a donc la crainte qu’une contestation de la politique menée aboutisse à une coupure des financements. Cette crainte se retrouve dans les universités, où les professeurs n’ont pas le droit de contester le budget de leur établissement. La plupart des chercheurs restent discrets par peur des conséquences.
Cette incapacité de réagir peut nous surprendre. La recherche américaine est en train d’être décimée, malgré son utilité pour le monde entier. Actuellement, de nombreuses bases de données sont détruites et des collaborations internationales sont mises à l’arrêt. C’est incroyable et incompréhensible ! Personne n’a les moyens de remplacer tout ça.
Comment soutenir la science et les chercheurs dans ce contexte ?
La France et l’Europe proposent d’accueillir les réfugiés scientifiques. Aux États-Unis, des dizaines de milliers de personnes sont concernées et nos financements sont très limités. La recherche en France connaît déjà de nombreuses coupes budgétaires. Cette initiative ne permettra pas d’accueillir des chercheurs américains seniors, habitués à des crédits jusqu’à dix fois supérieurs aux nôtres. Même avec les coupures actuelles, ils disposent de budgets supérieurs. Nous ne sommes pas attractifs.
Nous pouvons tout de même tâcher de faire revenir les postdocs européens et retenir les jeunes doctorants qui fuient aux États-Unis pour bénéficier de la manne consacrée à la recherche. Les 100 millions débloqués par la France et les 500 millions de l’Union européenne serviront sans doute à financer des postes pour ces chercheurs européens qui vont revenir.
Les scientifiques doivent se mêler davantage au débat public
Face aux attaques contre la science, les scientifiques jouent-ils suffisamment leur rôle dans le débat public ?
Les scientifiques doivent se mêler davantage au débat public. La science n’a pas de réponse toute faite, mais il est utile de communiquer sur ce qui fait consensus. Les institutions comme l’Académie ont un rôle à jouer dans la diffusion de l’information scientifique.
L’Académie a récemment rédigé un rapport sur les Pfas (polluants éternels, NDLR). On a hésité à le faire, parce qu’on ne dispose pas de toutes les connaissances sur ces substances. Pour certaines, on sait très bien qu’elles sont nocives, même si elles le sont moins que les pesticides. Pour d’autres, on ne dispose ni de données ni d’études. Notre rapport conclut que pour la plupart des milliers de composés concernés, nous ne sommes pas capables de nous prononcer sur leur degré de toxicité.
Observez-vous un manque de culture scientifique dans la population ?
Oui, surtout parmi les décideurs politiques. Très peu ont une formation scientifique. Pour pallier ce manque, l’Académie joue de plus en plus un rôle de conseil auprès des ministères. Nous avons 250 experts mobilisables. La présidence s’est aussi dotée d’un conseil scientifique composé d’une vingtaine d’experts pour alimenter la réflexion scientifique au niveau politique. Mais ce n’est pas suffisant.
Repères
2005
Les Académies des sciences des pays du G8 (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Japon, Canada, États-Unis, France et Russie) se réunissent pour la première fois. Leurs recommandations sont adressées aux dirigeants des pays
2014
La participation de l’Académie des sciences de Russie est suspendue
2017
Les Académies des sciences des pays du G20 organisent leur première rencontre, Science 20, en Allemagne. Sont impliqués 19 pays (Allemagne, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Arabie saoudite, Afrique du Sud, République de Corée, Turquie, États-Unis) ainsi que l'Union européenne et l'Union africaine depuis 2023
2026
La France sera le pays hôte du G7 avec l’Académie des sciences en charge d’animer la réflexion
Accès aux soins : la Défenseure des droits entend démonter les discriminations envers les trans
Le Dr Ugo Ricci, généticien criminologue, passionne l’Italie
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