Trois questions au Pr Florian Ferreri*

« Il ne faut pas hésiter à être un peu plus pro-actif que d’habitude »

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Publié le 19/04/2021
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La santé mentale des Français s’est dégradée avec la crise. Quels sont les problèmes les plus fréquents ? Y a-t-il des populations plus vulnérables ?

Pr Florian Ferreri : Il y a d’une part des patients qui avaient déjà des troubles psychiatriques et dont l’état a pu s’aggraver avec la situation actuelle, du fait de difficultés d’accès aux soins ou de modifications de leur environnement. Mais il y a aussi des personnes, sans antécédents ni vulnérabilité particulière jusque-là, qui peuvent être en souffrance à cause de la crise et présenter soit des troubles épars et fluctuants soit déjà un tableau psychiatrique à type de trouble de l’adaptation, trouble anxieux ou dépression caractérisée.
Dans le contexte actuel, tout le monde peut être mis à mal. Mais sur un plan statistique, ce sont surtout les jeunes (et notamment les étudiants) et les personnes âgées qui souffrent le plus de cette situation. Pour une partie de la population la fin de la crise va signifier la fin des troubles mais pour une autre partie ce sont des difficultés qui vont s’ancrer avec un besoin d’aide plus structurée.  

Les médecins traitants sont souvent les premiers sollicités. Quelle prise en charge peut être mise en place en médecine générale ?

Pr F. F. : La première chose est d’arriver à repérer ces souffrances, notamment quand elles s’expriment de façon très somatique (insomnie, douleurs abdominales, etc.). C’est important de mettre un nom sur les symptômes. Outre le fait que l’examen clinique est normal, certains éléments peuvent orienter vers une origine psychologique, que ce soit dans ce que le patient exprime (allusion à l’environnement actuel) ou dans le rythme des symptômes s’ils s’améliorent par exemple lors de bons moments.
Ensuite, pour des troubles de sévérité légère à modérée, avec une plainte qui ne paraît pas trop inhiber la personne, il y a tout un ensemble de conseils d’hygiène de vie (alimentation, activité physique, etc.) qui semblent évidents mais ont besoin d’être répétés. La prise en charge des troubles du sommeil est importante aussi car c’est souvent un cercle vicieux. Sans forcément s’orienter d’emblée vers les benzodiazépines, la prescription médicamenteuse (antihistaminique, mélatonine) peut être utile dans certains cas. Un généraliste peut aussi prodiguer des éléments de psychothérapie de soutien associant de l’éducation et des explications sur ce que la personne ressent. S’il y a un trouble anxieux avéré ou une dépression caractérisée, même si ce n’est pas la première réponse, il ne faut pas se priver des thérapeutiques médicamenteuses dans le cadre des recos. Ce n’est pas parce qu’on a une explication liée à l’environnement qu’il n’y a pas de justification à prescrire certains psychotropes.
Enfin, il ne faut pas hésiter à orienter si l’on sent que le patient a besoin d’une psychothérapie plus structurée, s’il s’aggrave malgré les actions mises en place, s’il a des idées suicidaires ou si l’on sent l’entourage très défaillant voire délétère.

Dans la période actuelle, n’y a-t-il pas un risque de banaliser en mettant tout sur le dos de la crise sanitaire ?

Pr F. F. : Le risque, c’est en effet de tout attribuer à la crise et d’avoir du mal à entendre la plainte en pensant que comme le problème est contextuel, ses conséquences seront anodines, alors que chez certaines personnes, elles peuvent être graves. Un trouble anxieux ou de l’adaptation qu’on ne prend pas en charge peut s’aggraver en trouble dépressif, s’associer à des conduites addictives, devenir plus difficile à traiter, plus durable…
Donc au contraire, il ne faut pas hésiter à être un petit peu plus proactif que d’habitude, à éventuellement proposer de revoir la personne un peu plus rapidement que ce que les soins somatiques imposent, à la relancer si elle devait revenir et ne le fait pas…
Un autre écueil est que ces symptômes masquent autre chose, notamment la prise de toxiques qu’il est important de dépister ou des violences intrafamiliales. 

*service de psychiatrie et de psychologie médicale, hôpital Saint-Antoine, AP-HP Sorbonne Université


Source : lequotidiendumedecin.fr