Innovant toute à La Poste et à votre bonne santé

Publié le 13/07/2017

C’est une révolution, on vous dit. Notre Poste nationale accouche d’une idée sociale d’avant-garde, prendre soin de nos aînés en surfant sur la confiance accumulée par la marque, et surtout la gentillesse des facteurs, parfois dernier lien social d’une époque aussi numérique qu’elle est inhumaine. Cette initiative cache en réalité des préoccupations bien moins louables et plus terre à terre, quitte à se faire oublieux du cœur des valeurs de notre institution nationale. Retour sur une réflexion vieille de dix ans.

De la confiance à la méfiance

La Poste est une institution créée par Louis XI le 19 juin 1464 – cela ne nous rajeunit pas – pour le transport des messages royaux et surtout des Offices des messages royaux autorisés à transporter le courrier des citoyens. Au XVIIIe siècle on assiste à la création de la « poste aux lettres » dirigée par le surintendant aux postes, fonction très courue car donnant lieu par l’achat de la charge à bien des privilèges (indépendance du droit commun, exemptions d’impôts et autres privilèges – c’était déjà très moderne et fort rémunérateur). En 1879, les services des postes et des télégraphes sont fusionnés au sein d’une seule administration le ministère des Postes et Télécommunications. En 1970, Yves Guéna crée l’imprimerie des timbres-poste (ITP), organisme bien pratique à maints égards pour organiser un trafic rentable de bout de papiers à lécher. Quelques Ministres se feront d’ailleurs épingler à l’insu de leur plein gré. Mais on nous accusera d’être mauvaise langue. Un comble dans le cas présent. Machine arrière toute en 1988-1991, création de France Télécom et de La Poste en deux entités disjointes. Depuis, La Poste n’a cessé de donner naissance à divers services au gré de l’évolution technologique, services postiers, banque, assurance, opérateur télécom virtuel, services rapides, intégrateur de services IT, gestionnaire immobilier, marketing – et des fichiers, La Poste en dispose à foison -, commerce en ligne. La Poste bouge, d’ailleurs nous bougeons avec elle – il faut dire que nous n’avons guère le choix. Mais le facteur au centre de la machine à cash bénéficie – souvent à raison – de la confiance des « usagers ». Le beau terme que voilà qui montre que malgré un passage à un statut privé, l’esprit service public – à ne pas confondre avec le service au public – demeure. Mais voilà, La Poste n’est pas un organisme très agile et fonctionne toujours selon des recettes éculées. À preuve, quand la direction générale s’aperçoit, ô surprise, que les citoyens envoient de moins en moins de courrier, son corps des X (polytechniciens) trouve la solution en augmentant le tarif des timbres. Concurrence libre et non faussée parait-il, enfin il parait. Ce sont ces mêmes polytechniciens dont la légende prétend que « si vous les lâchiez dans le désert, ils importeraient du sable au bout de trois mois ». « Nous sommes présents dans tous les territoires de France avec 18 000 bureaux et contribuant au lien avec les citoyens », clament différents présidents de l’institution. Sauf que, pour des raisons économiques, les bureaux de poste en tant que tels voient leur nombre diminuer – on l’estime à 7 000 à l’horizon 2020 -, remplacés qu’ils sont par des relais, des agences bancaires et des « fourbisseurs » de produits financiers et assuranciels. À ce titre, La Poste sera d’ailleurs condamnée pour défaut d’information à l’endroit de petits épargnants. Condamnée également pour abus de CDD, travail dissimulé, harcèlement moral, primes inéquitables. Condamnée aussi par l’ARCEP et la DGCCRF pour « pratiques frauduleuses ». Récemment, les plaintes se multiplient pour des livraisons à domicile non effectuées, mais c’est la faute du sous-traitant, indique La Poste. Glandeurs et décadences ? Bref, l’image de notre poste se dégrade.

Une idée qu’elle est bonne

Annoncée à grand renfort médiatique, La Poste va prendre soin de Papi et Mamie. Le facteur visitera nos parents âgés pour s’enquérir de leur santé et leur bien-être. C’est beau comme de l’antique. En effet, l’idée n’est pas nouvelle ; elle date même de près de dix ans mais pas forcément fondée au coin de l’humanisme. En effet, Martin Vial (Essec, l'École nationale supérieure des postes et télécommunications, alors président (1997-2002), se trouvait devant un dilemme. Que faire des 60 000 postiers dont la technologie et les usages avaient –– Schumpeter oblige –– détruit « l’employabilité ». Il faut donc « trouver un marché récurrent et rémunérateur » pour permettre, disent les mauvaises langues », à son président de « sortir par le haut ». Passons sur la transparence de son successeur Jean-Paul Bailly qui fit l’unanimité. C’est finalement Philipe Whal qui osera et donnera naissance au service « Veiller sur mes parents ». Depuis le lancement, c’est le tollé à La Poste et parmi les citoyens. La marchandisation du lien social fait-elle partie de nos valeurs à ce point alors que ce genre de « service » est historiquement une fierté des postiers et délivré gratuitement par des Hommes de bonne volonté ? Cette initiative n’est-elle pas une façon insidieuse pour les familles de se responsabiliser, parfois, de leurs obligations envers leurs parents et à peu de frais moraux ? Quelle est la valeur du service rendu, aucunement mesuré, jamais confronté à la responsabilité légale de La Poste ? À qui les données sont-elles transmises et relèvent-elles de la législation sur les données personnelles. Mais que fait la CNIL ? Et, cerise sur le timbre, le prix demandé est-il intéressant ? Voyons cela de plus près. La Poste annonce une offre de lancement à 19.90 par mois –– en fait 39,90 € (1) ––, pour une visite par semaine. La presse indique que des ordres ont été donnés pour que la « visite » ne dure pas plus de 6 minutes par Mamie –– café compris ? ––. Le Monde (2) rapporte un dialogue entre un « Chef » et un postier « Si elle tient debout, c’est qu’elle va bien ». Un rapide calcul fait état d’un coût horaire de la prestation de 125,00 € hors crédit d’impôt. Une paille. Mieux qu’un médecin ou le garagiste du coin. Pour compléter, on sait depuis l’annonce que les postiers ne sont ni formés ni rémunérés pour ce travail malgré tout inclus dans leur quota mensuel.

On ne change pas une équipe qui perd ?

La Poste et sa filiale Docapost ont une expérience en santé qui ne date pas d’hier sans que jamais n’ait été mesuré le service médical rendu. Avatar bien connu, la fonction d’opérateur technique du dossier médical partagé, pourtant interdit aux assureurs dont on connaît l’absence d’usage et l’aversion par les médecins avec un coût selon la Cour des Comptes de 500 millions d’euros, pour à peine 500 000 dossiers ouverts dont 71 % de vides sans guère de consentements des patients pourtant préalable légal. Autre succès, le dossier pharmaceutique qui marche également et allégrement sur cette obligation de consentement des patients mais qui consolide la relation marchande des pharmaciens avec les patients. Aujourd’hui, La Poste annonce la délivrance des médicaments au domicile en partenariat avec un groupe de pharmacies (Pharmabest) ce qui lui attire le courroux de l’Ordre des pharmaciens sur des détails préalables légaux tels la présentation de l’originale de l’ordonnance, le conseil, l’appréciation de signes pathologiques. Et de poser des questions urticantes « Comment sera alimenté le Dossier Pharmaceutique ? Quid du respect des bonnes pratiques de dispensation exigeant de disposer de l’original de l’ordonnance avant toute dispensation ? Quelles conditions de stockage et de conservation en cas d’absence de la personne livrée et du retour au pharmacien, une fois que le médicament est sorti du contrôle de la chaîne pharmaceutique ? » Pour Carine Wolf-Thal, Présidente du Conseil national. « Le médicament n'est pas un produit comme les autres et sa dispensation doit être accompagnée par un pharmacien. » Ah bon ? Dans sa lancée, Docapost qui prend le relais avec le québécois Tactio. Cette entreprise est dirigée par Michel Nadeau (4), bien connu du monde des télécoms (Teleglobe qui fit faillite en 2002, Minacom Labs) et du monde bancaire et du private equity (Flat World Investments). La proposition est claire, qui s’adresse entre autres aux pharmaciens pour « valoriser le pharmacien dans une nouvelle relation avec le patient », aux assureurs pour « encadrer la santé, la prévention et la gestion des maladies chroniques des clients », aux hôpitaux avec « une messagerie sécurisée –– tiens, une autre ? –– et le coaching automatique », à la recherche –– industrie pharmaceutique ? –– pour « combler l’écart des mesures sans compromettre la qualité des données ». La valeur ajoutée consiste en fait à établir un intermédiaire de plus par tiers interposés (capteurs, données manuelles, etc.) sans que jamais ne soit mesuré l’intérêt pour la santé publique et la responsabilité de quiconque. Pire, on peut considérer que ces interfaces commerciales peuvent devenir des freins à la prise en charge par des professionnels de santé. Le point d’orgue de la proposition s’étale dans les garanties de Tactio. Aucunes. Aucune garantie quant à la confidentialité des données, le consentement étant implicite, la fiabilité sur les logiciels vendus, charge au patient mauvais coucheur – pléonasme - de se retourner vers qui de droit. Bon courage, ami patient. Mais ce n’est pas grave, il y a un marché.

Ça claudique au Klondike

À force de penser que la prise en charge de la santé est plus une course à la recherche d’or qu’une valeur de notre modèle social, nous nous préparons des lendemains qui déchantent. C’est en tout cas un signal délétère qu’envoie l’État, armé de ses faux semblants à l’endroit des citoyens alors que des phalanges de start-up et de fonds d’investissements veulent barder les « seniors » de capteurs de tous types sans jamais vérifier la précision de leurs mesures ni l’utilité médicale desdits capteurs ou la sécurité des données (Cf. La perte récente de plusieurs milliers de données personnelles chez Withings au bord de graves difficultés financières mais récemment racheté par Nokia). Et oui, la France vieillit, et oui, ce n’est pas toujours amusant de répondre à de vieux parents dans le doute, l’angoisse ou la détresse, et oui, ce n’est pas facile de faire apprendre la navigation internet après 80 ans alors que l’État ne répond plus au téléphone. La vieillesse n’est pas une variable d’ajustement comptable. Les Pompiers, de leur côté, dans certaines régions, ont bien compris le concept de « services » qui désormais font payer – jusqu’à 450 € le relevage à domicile de personnes âgées. « Vous comprenez, il y a des abus ». Bien sûr. Les plus de 65 ans seront 20 millions en France –– riches en moyenne d’une retraite nette de 1 155 € par mois (4) –– dans 30 ans que leur cortège de pathologies chroniques stigmatisera. Il existe une solution radicale « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » (Père Arnaud Amaury, Saint-Barthélemy, Siège de Béziers, 22 juillet 1209). Pas sûr que ce soit bien moral. C’est Jacques Attali, dans son « Ordre cannibale » (1979) qui prévoyait l’Homme « marchandisé » avec SAV pièces et mains d’œuvre. On n’en est pas loin. Si Mamie ne bouge plus, avec La Poste on saura qu’elle file un mauvais coton.

(1) https://www.laposte.fr/particulier/veiller-sur-mes-parents?xtor=SEC-85-…
(2) http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/05/24/veiller-sur-mes-parent…
(3) https://fr.linkedin.com/in/michelnadeau
(4) http://www.latribune.fr/economie/france/le-montant-moyen-brut-mensuel-d…

Jean-Pierre Blum

Source : lequotidiendumedecin.fr