Exfiltration de François Braun, démission soudaine d’Aurélien Rousseau, intérim de Firmin Le Bodo… L’instabilité au ministère de la Santé pèse sur le moral des soignants et plonge le secteur déjà en souffrance dans l’incertitude alors que plusieurs réformes patinent.
Patatras : juste avant les fêtes de fin d’année, Aurélien Rousseau a claqué la porte du ministère de la Santé, dans la foulée de l’adoption de la loi immigration contraire à ses principes. Si le secteur a salué le courage et les valeurs de l’ancien « dircab » d’Élisabeth Borne, il s’inquiète ouvertement de l’instabilité chronique qui règne à la tête de Ségur et de la difficulté de trouver le bon casting. D’autant que, à l’heure où nous écrivions ces lignes et en plein remaniement, Agnès Firmin Le Bodo – nommée ministre de la Santé par intérim – était elle-même inquiétée par une enquête judiciaire pour avoir reçu 20 000 euros de cadeaux de la part des laboratoires Urgo, comme l’ont révélé nos confrères de Mediapart.
La politique de santé se mijote à l’Élysée
Quoi qu’il en soit, les dossiers s’accumulent. Quid du sort des négociations conventionnelles reparties sur de meilleures bases et censées procurer enfin le choc d’attractivité réclamé par les médecins libéraux ? Le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, préfère positiver. « La lettre de cadrage politique avait été approuvée, le changement de ministre ne la remet pas en cause ». De fait, les pourparlers continuent sous l’égide du directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, fidèle au poste de son côté. À moins que, comme le souffle le président de l’UFML-S, le Dr Jérôme Marty, « le prochain ministre ne veuille aborder d’autres points et, le cas échéant, modifie la lettre de cadrage ! »
Plusieurs leaders soulignent, en tout état de cause, que la politique de santé ne se fait pas (plus) à Ségur mais à l’Élysée ou à Bercy, ce qui rend les arbitrages incertains et fragilise le locataire du poste. « Ségur n’a, à la fois, jamais le temps de construire et pas les clefs en main : c’est un théâtre d’ombres », fustige le Dr Marty. Guillaume Bailly, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), abonde en ce sens. « Quand l’interlocuteur change tous les six mois et que son espérance de vie est d’un ou deux budget de la Sécu, c’est très compliqué ! » Ce qu’explique aussi Florie Sullerot, présidente des futurs généralistes de l’Isnar-IMG. « Quand les ministres changent autant, il est difficile de s’engager avec eux sur le long terme, ce qui perturbe la pérennité de nos projets et leurs promesses, comme sur la quatrième année. »
Quand les ministres changent autant, il est difficile de s’engager avec eux sur le long terme, ce qui perturbe la pérennité de nos projets
Florie Sullerot, présidente de l’ISNAR-IMG
Quand on compare à d’autres ministères, comme l’Intérieur ou l’Économie, la fragilité de Ségur interroge. « Les problèmes relatifs à la santé sont complexes et nécessitent un engagement de l’État, qui, justement est hésitant », analyse le Dr Nogrette, qui attend avec impatience un ministre de la Santé « aligné » avec le ministre des Finances et le Président.
François Braun, ex-ministre de la Santé, assure toutefois au Quotidien que les négociations avec Bercy sont quelque peu mythifiées. « J’ai toujours abordé les discussions avec le ministère de l’Economie de façon libre, en défendant mon point de vue. Si l’arbitrage n’est pas bon, c’est que je ne l’ai pas été », philosophe l’urgentiste. Pour lui, « la santé a besoin de deux vertus : sérénité et perspective. En ce sens, il faudrait un plan pluriannuel… » Perfide, François Braun relève toutefois que la Santé est loin dans l’ordre protocolaire, derrière la Culture. « C’est dire la place qu’on lui accorde… C’est le ministère qui a le plus de postes vacants, les fonctionnaires et les chauffeurs les moins bien payés… »
Côté hospitaliers, où les dossiers en jachère sont légion (en commençant par l’attractivité des carrières), la Dr Anne Wernet, présidente du Snphare, se désole de l’instabilité à Ségur. « Quand un ministre change, on a l’impression qu’il part avec ses dossiers et qu’il faut tout recommencer à chaque fois. Si l’on avait une véritable direction, comme une loi de programmation en santé, il y aurait une route tracée et un suivi. » Plusieurs députés poussent en ce sens, à l’instar de Jean-Carles Grelier (Renaissance) ou Cyrille Isaac-Sibille (MoDem). Aurélien Rousseau avait aussi défendu cette idée, sans toutefois produire de texte de loi.
La santé, préoccupation numéro 2 des Français !
Alors quel profil pour tenir la barre de ce ministère des crises et rassurer durablement le secteur ? Politique ou expert ? « Faut-il un ministre de la Santé médecin entouré d’énarques ou un énarque… entouré de médecins ? En tout cas, pas que des énarques ou que des médecins ! », ironise François Braun. Lequel défend toujours « la promotion de personnes issues de la société civile, car la santé est un sujet très complexe qui nécessite une vraie connaissance du système. Ce qui est très compliqué pour un politique pur ! » Le Dr Marty défend le duo « techno/personne de terrain » dont une personnalité « charismatique, qui recolle les morceaux ». Guillaume Bailly rêve d’un ministre « au contact des professionnels de santé » et Florie Sullerot d’une personnalité « à l’écoute des jeunes ».
L’exécutif a du pain sur la planche. Seuls 27 % des Français font confiance à Emmanuel Macron pour mener une bonne politique en matière de santé, selon une étude Elabe publiée début 2024. Une situation d’autant plus préjudiciable que la santé est redevenue la préoccupation majeure des citoyens, juste derrière le pouvoir d’achat. La valse des ministres ne devrait rien arranger.