Un pacte de non-agression entre communes pour ne pas se disputer le peu de médecins restant sur leur territoire ! C’est le principe des « chartes de non-concurrence », qui fleurissent depuis quelques années dans l’Hexagone.
Il faut dire que les édiles n’ont pas hésité, par le passé, à jouer la surenchère pour s’attirer les faveurs des perles rares : aides à l'installation, prise en charge du logement – piscine incluse – embauche de secrétaire, loyer aménagé… Les maires sont prêts à tout, jusqu’à « piquer » le généraliste du voisin dans certains cas. D’où l’idée de certains élus de se concerter sur un territoire et d’enterrer la hache de guerre.
Le pionnier en la matière est le département du Lot-et-Garonne qui, dès 2020, est parvenu à faire signer sa charte à une centaine de communes. Celles-ci s’étaient engagées à inscrire leur recherche de médecin de manière « mutualisée », dans le cadre du projet territorial de santé. Et, surtout, à ne pas démarcher ou détourner les praticiens installés à moins de 30 km sans échange préalable avec les élus concernés. Pour être égaux en matière de rémunération et de type de contrats, ces derniers sont identiques entre les communes.
Se serrer les coudes entre maires
« Cela part du constat de pénurie de notre territoire, qui avait 0,6 médecin pour 1 000 habitants. Beaucoup de communes faisaient appel à des cabinets de recrutement ou des praticiens “mercenaires”. Nous nous sommes dit qu’il fallait plutôt se serrer les coudes ! Le but était de ne pas déplacer de médecins dans le département, mais plutôt en trouver d’autres », explique la Dr Annie Messina, pédiatre et vice-présidente du Lot-et-Garonne en charge des personnes âgées et à la démographie médicale.
Cette charte a été la première étape de l’action de la collectivité pour l’accès aux soins, puisqu’une plateforme appelée « Bienvenue docteur ! » a été lancée l’année dernière réunissant le département, l’agence régionale de santé (ARS) et le conseil régional, pour créer toutes les conditions à l’installation de nouveaux médecins. Il s’agit d’un guichet téléphonique unique où tout médecin (ou professionnel de santé) peut appeler et expliquer son projet professionnel et personnel et ainsi être orienté pour faciliter son installation, fort de 60 partenaires dans le logement, l’emploi, la formation ou encore à la préfecture. L’enjeu est aussi de faire connaître le territoire aux internes et de leur proposer des logements, d’accompagner la formation de maître de stage universitaire ou encore de présenter la filière médecine dans les lycées. En neuf mois et 40 dossiers traités, cinq médecins devraient s’installer cette année dans le Lot-et-Garonne : trois généralistes, l’un dans un cabinet libéral, les deux autres dans une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) et deux spécialistes dans une clinique.
Ce braconnage n’était pas durable : la concurrence, en temps de pénurie, n’a pas de sens !
Jean-Pierre Gorges, maire de Chartres
Depuis, les agglomérations de Chartres (Eure-et-Loir) et Orléans (Loiret) ont adopté des chartes similaires. Jean-Pierre Gorges, maire (divers droite) de Chartres et président du conseil de surveillance du CH, confie que « chaque maire voulait sa maison de santé et son médecin, jusqu’à piquer parfois celui du voisin. Ce braconnage n’était pas durable : la concurrence, en temps de pénurie, n’a pas de sens ! Nous avons donc choisi de nous organiser, en cohérence avec le territoire, en disposant, notamment de service de transports, permettant de conduire les patients les plus isolés vers nos maisons médicales ou l’hôpital ».
En mai 2023, 56 des 66 communes que comporte l’agglomération chartraine ont voté pour cette charte de non-concurrence. « Les communes de l’agglomération conviennent d’instaurer une clause de non-concurrence entre elles. Il s’agit d’éviter la surenchère qui vise à attirer chez soi le professionnel de santé installé dans la commune voisine », stipule le texte de la motion communautaire sur la désertification médicale. Les signataires s’engagent également à partager toute information sur leurs nouveaux projets de démographie en santé : création d’un cabinet médical ou paramédical, projet d’exercice regroupé (maison ou centre de santé), offre d’emploi, offre de local ou hébergement pour étudiant. Et si les communes venaient à ne pas jouer le jeu, le président de l’agglo prévient qu’il pourrait être amené, avec l’outil de la dotation de solidarité, à ne pas forcément leur verser ces fonds en priorité, quitte à ne « pas être gentil » avec elles.
Le zonage ARS, facteur d’inégalités
La métropole d’Orléans a emboîté le pas, plus récemment, en juillet 2024, en adoptant, elle aussi, une « charte de bonnes pratiques ». Celle-ci est inspirée par le collectif CitLab, composé notamment du généraliste retraité, le Dr Jean-Paul Briand, qui avait défrayé la chronique en 2017 suite à un coup de gueule contre les déserts médicaux. À date, les trois quarts des communes auraient ratifié le texte actant l’absence d’avantages donnés aux nouveaux médecins installés, mais également la création d’une « instance intercommunale de concertation pour coordonner les efforts afin d’attirer de nouveaux praticiens ».
Se pose également sur ce territoire la question du zonage ARS, tandis que certaines communes de la région bénéficient d’un classement en zone d’intervention prioritaire (Zip, les plus fragiles) et d’autres, comme Orléans, en zone d’action complémentaire (Zac). Les élus territoriaux réclament un zonage unique pour éviter la concurrence des subventions publiques. En attendant, l’ARS Centre-Val de Loire a baissé l’aide à l’installation dans les Zip à 10 000 euros, contre 50 000 euros auparavant. En outre, dans les structures pluriprofessionnelles, les 70 embauches de médecins salariés se feront dans les mêmes conditions. Les rémunérations sont les mêmes, calquées sur la grille de la fonction publique hospitalière.
Des communes aisées « sans foi ni loi »
Ces initiatives n’ont rien d’étonnant, alors que les territoires bataillent pour attirer des médecins, quitte à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Un rapport sénatorial datant de 2021, intitulé « Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action » témoignait déjà des « opérations séduction » pouvant « conduire à des tensions concurrentielles entre les territoires et à accentuer ainsi la désertification ». La proposition numéro 10 des rapporteurs Philippe Mouiller (LR) et Patricia Schillinger (RDPI) visait en ce sens à « lancer une réflexion commune État-collectivités territoriales sur les risques de compétition entre les territoires ».
Observant les inégalités entre communes plus ou moins aisées, et parfois « sans foi ni loi », le vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) Gilles Noël voit d’un bon œil ces signatures de charte. « Si seulement toutes les communes pouvaient en faire de même ! Cela va dans le bon sens et montre que, pour l’accès aux soins, on ne peut pas se recroqueviller sur soi-même : il faut travailler de concert, à l’échelle du département », défend-il. Quitte à généraliser une charte nationale de non-concurrence ?
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