Le système de santé est-il en crise ? Réunis pour échanger dans le cadre des Contrepoints de la santé, quatre anciens ministres en charge du secteur – Claude Evin, Roselyne Bachelot, Agnès Buzyn et François Braun – ont raconté leurs souvenirs (parfois frais) pour évoquer leur séjour à Ségur, souvent décrit comme « ministère des crises ».
Pourtant, de l’avis de Claude Evin, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité de 1988 à 1991, il faut rester pragmatique : ce n’est pas une grande nouveauté. « Cette situation de tensions était déjà d’actualité il y a 30 ans, avec un sentiment de dégradation du système de soins et une convention médicale non signée ! » Aussi, pointe-t-il, « nous soignons de mieux en mieux certaines pathologies, comme le Sida, les cancers etc. » Pour le coauteur d’un rapport sur l’aide médicale d’État, « le système de santé ne se réforme pas ou alors il l’est en permanence », même s’il concède une certaine lenteur.
La valse des ministres pointée du doigt
De son côté, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports de 2007 à 2010, se dit « frappée par le fait que les réponses données par les réformes des systèmes de santé sont quantitatives, alors qu’elles devraient être qualitatives. » Elle évoque « le drame incurable de la valse des ministres » comme facteur d’instabilité et manque de continuité.
Ministre des Solidarités et de la Santé de 2017 à 2020, Agnès Buzyn ne croit pas que le secteur soit en crise. Elle évoque plutôt « un système en transformation, profonde, sur le long terme », qui n’est d’ailleurs pas l’apanage de la France puisque d’autres pays ont les mêmes défis (maladies chroniques, prévention, financement, etc.). « Un ministre n’aura pas de mesure miracle. Mais toutes les réformes menées par les différents gouvernements vont dans le même sens », défend-elle, expliquant que « nous sortons du tunnel, ça va aller de mieux en mieux ! »
Sus au PLFSS !
François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention de 2022 à 2023, parle lui aussi de « transformation » plutôt que de « crise ». En s’appuyant sur son expérience au Conseil national de refondation (CNR), il évoque « la nécessité de partir des besoins de santé et de trouver des solutions territoire par territoire ». Aussi, l’ancien urgentiste estime « absurde que la politique de santé soit discutée tous les ans dans le PLFSS… Elle ne peut pas se réformer en un an ! », dénonce-t-il.
Sur le volet économique, Roselyne Bachelot évoque la présence d’un « éléphant dans la pièce ». Elle détaille, consciente du caractère disruptif de son propos : « Les plus gros consommateurs de soins sont les personnes âgées et elles sont celles qui contribuent le moins au financement de l’Assurance-maladie. La contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités commence à être choquante, notamment pour les actifs ! Il faut qu’elle soit au même niveau. »
Tous appellent à aller plus loin sur la prévention et la santé publique. « Ce n’est pas que le tabac et l’alcool. Nous avons tous des difficultés à changer nos comportements quotidiens », concède Claude Evin. Le plus récent des anciens ministres, François Braun, abonde : « Notre société n’est pas assez tournée vers la prévention. Il faut aller plus loin dans la logique “une seule santé” ! » Mais Agnès Buzyn précise que certaines décisions échappent au ministère de la Santé car « la pollution ce sont les Transports, et l’Agriculture ou l’Écologie ne sont pas des missions de Ségur non plus ». De quoi ironiser pour François Braun : « “One health”, c’est à Matignon ! »
Manque d’anticipation
Sur le manque de soignants, Agnès Buzyn ironise, à son tour, sur la mauvaise anticipation dans les années 1990… quand justement Claude Evin était aux manettes et a participé à la réduction du nombre d’étudiants formés. Ce dernier s’explique : « C’était une demande des syndicats médicaux ! Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale à l’époque, avait fait des propositions d’un numerus clausus plus important. Je regrette, aujourd’hui, de ne pas avoir résisté sous la pression. Ce système, cogéré, d’une certaine manière, avec la convention médicale, n’est pas simple… »
Dans les nombreuses difficultés qui incombent aux locataires de Ségur, Agnès Buzyn évoque enfin la nécessaire « pédagogie auprès des élus locaux, parlementaires comme maires, qui demandent un médecin, un centre de santé, une maternité etc. » D’autant plus que, comme le note François Braun, « il n’y aura pas un service d’urgence dans chaque bourg, ni une maternité dans chaque petite ville… peut-être qu’il faudra faire 10 kilomètres pour aller chez le médecin et pas se rendre la rue d’à côté. » Pour l’ancien ministre débarqué à l’été 2023, c’est « le discours de vérité ». L’aurait-il tenu en responsabilité ?
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