Le combat pour la vie
Simone Veil est née à Nice en 1927. Son père André Jacob est architecte (Grand Prix de Rome 1919) et sa mère, Yvonne Steinmetz, est étudiante en chimie. Cette dernière sera aux côtés des plus démunis pendant la crise de 1929. Ils forment une famille juive non pratiquante et foncièrement laïque. Simone Veil sera arrêtée le 30 mars 1944 et avec elle le reste de la famille quelques heures plus tard. Ils transitent par le camp de Drancy sous la garde de la Police française. Son père et son frère Jean seront déportés en Lituanie. Simone, sa mère et sa sœur Madeleine partiront pour le camp d’Auschwitz-Birkenau le 13 avril. Sa sœur Denise, résistante à Lyon, sera déportée à Ravensbrück à peu de distance. Mentant sur son âge, elle a 16 ans, Simone échappe à l’extermination immédiate et reçoit le matricule 78651. En juillet 1944, avec sa mère et sa sœur, elle est transférée au camp de Bergen-Belsen après la tristement célébre Marche de la Mort (59 000 morts). Simone et ses sœurs sont les seules survivantes de la famille. De retour en France le 23 mai 1945, déterminée à conquérir sa liberté et son indépendance, elle s’engage dans le droit à la Faculté de Paris et à l’Institut d’études politiques de Paris où elle rencontre Antoine Veil qu’elle épouse en 1946. Sa sœur, Madeleine, et son fils Luc décèdent en 1952 dans un accident de la route au retour d’une visite faite à sa sœur. Après le concours de la magistrature, elle s’occupera des affaires judiciaires au ministère de la Justice. Pendant la guerre d'Algérie, elle réussit à faire transférer en France des prisonnières algériennes qu'elle estime exposées aux mauvais traitements et aux viols. Membre du Syndicat de la magistrature, elle sera, en 1970, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature. Son premier fait politique a lieu en 1971 lors d’un conseil de l’ORTF où elle s’oppose à la diffusion du documentaire le « Chagrin et la Pitié », qu’elle juge injuste, partisan et d’un prix exorbitant demandé par son auteur Marcel Ophüls. Le Général de Gaulle, interrogé sur la diffusion du film à la télévision, déclarera que « la France n’a pas besoin de vérités, elle a besoin d’espoir ». Il faudra attendre 1981 pour que les Français voient le documentaire sur leurs écrans.
Le combat d’une vie
À la mort de Georges Pompidou, Valérie Giscard d’Estaing nomme Simone Veil ministre de la Santé et la charge de présenter la « dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse ». Elle soutient que « l’avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue ». Elle s’oppose ici à la Secrétaire d’État à la Condition féminine, Françoise Giroud, partisante de la liberté des femmes à disposer de leur corps alors que Simone Veil souhaite protéger leur santé. Le texte est adopté avec le concours disparate d’élus de droite et de gauche après avoir résisté à un déluge d’insultes ignobles et de références à des temps moyenâgeux de la part de députés et de notables ivres de rage et d’obscurantisme, oublieux du caractère laïque de la République (Michel Debré, Jean Foyer, Jérôme Lejeune, etc.). Convoquant le professeur et humaniste Paul Milliez, Jean Foyer, ministre de la Santé, lui déclarera que « le vice des riches ne doit pas être possible pour les pauvres (INA) ». La loi entrera en vigueur le 17 janvier 1975, complétant la loi Neuwirth légalisant la contraception en 1967 - mais dont les décrets ne seront publiés qu’en 1972 -. Simone Veil dira plus tard qu’elle s’est battue pour « la liberté des femmes et une Justice juste ». Contre le droit moral de l’époque en somme. Par son combat pour la protection et la liberté des femmes, aidée par Lucien Neuwirth et Jacques Chirac, elle aura démontré qu’elle avait ce qui manque à beaucoup d’hommes politiques, une vision, des valeurs, une loyauté envers les citoyens et un courage à toute épreuve. Même celui du temps.
Ministre de la Santé, elle réforme la carte sanitaire hospitalière, rééquilibre les comptes de l’Institut Pasteur et fait adopter des aides financières pour les mères d’enfants en bas âge. Politique, elle s’oppose au retour forcé de 100 000 algériens par an prôné par Valérie Giscard d’Estaing.
Le dépassement de soi
En 1979, alors que les députés du RPR ont soutenu un autre candidat, elle est élue la première présidente du Parlement européen. Elle sera une fervente prosélyte de l’union et de l’amitié franco-allemande prouvant une indéfectible foi dans la tolérance et le dépassement de soi. En 1981, elle reçoit le Prix international Charlemagne comme avant elle Winston Churchill, Jean Monnet, Robert Schumann, Konrad Adenauer ou Georges Marschall. Il faut une grandeur d’âme certaine, après les outrages subis, parmi les pires qui soient, pour avoir encore foi en la nature humaine et sacrifier sa propre douleur au nom de l’espoir dans le futur. Elle termine sa carrière politique en tant que membre du Conseil constitutionnel jusqu’en 2007. Elle ne sort de sa réserve que pour appeler au « oui » au référendum français sur le traité établissant une constitution pour l'Europe. Jusqu’en 2007 elle aura été également présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Elle reçoit le Prix Scorpus de l’Université Hébraïque de Jérusalem où on lui dira « qu’avec Primo Levi – autre déporté d’Auschwitz – elle aura été l’Européenne qui aura enseigné à ne pas céder sur le devoir de mémoire ». Le 1er janvier 2009 elle est promue directement Grand-Croix dans l’Ordre de la Légion d’Honneur par le président de la République. Le Code de l’institution aura été modifié spécifiquement par Nicolas Sarkozy pour permettre cette entorse au protocole.
Simone Veil aura été l’incarnation de la détermination et de l’humilité, le courage et la pudeur, la liberté et la mesure. Quiconque aura croisé son regard ne peut pas ne pas s’être senti impressionné par sa profondeur et l’expression d’une infinie douleur.
Par son action pour la liberté des femmes, l’égalité d’avec les hommes et la fraternité entre les peuples, Simone Veil mérite toute notre admiration et notre respect.
Liberté, égalité, fraternité, cela ne vous rappelle rien ?
La France est prompte à commenter l’Histoire depuis la fin du XIXe siècle, Simone Veil en aura, elle, écrit un paragraphe avec son sang et ses convictions. En ce sens, elle aura été une conscience nationale qui l’honore parmi les grands Hommes du siècle.
La patrie saura-t-elle lui en être reconnaissante ?
Ainsi va la vie des Hommes, quelques joies bien vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas utile de le dire aux enfants (1). N’empêche, nous avons le cœur lourd.
Au revoir Madame et merci.
(1) Le château de ma Mère, Marcel Pagnol, 1957
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