Accrochées sur des murs d’habitations, les banderoles s’affichent de longue date en bordure de la RN 145. Celle qui indique « On recherche un médecin ! » fait partie du paysage. Mais dans ce territoire du nord de la Haute-Vienne, percuté comme tant d’autres par la désertification médicale, une solution a été trouvée : un médicobus sillonne désormais les routes de campagne.
Depuis le 6 mai, le camion, reconnaissable entre tous, va à la rencontre des habitants, se poste devant une mairie ou une salle des fêtes et propose des consultations. Un système « génial », selon Paulette Faucon, habitante de Saint-Sulpice-les-Feuilles, village de 1 000 habitants situé à 60 km au nord de Limoges. Ce jour-là, des amis l’ont conduite jusqu’à Dompierre-les-Églises, à 17 km de chez elle, où est justement garé le médicobus.
Présentant un bel œdème au genou droit après avoir chuté à domicile, la sexagénaire au nez légèrement égratigné grimpe difficilement la marche du Renault Master aménagé en cabinet médical. Quelques dizaines de minutes plus tard, elle en ressort plus qu’enthousiaste. « C’est bon ! Je suis sauvée ! », clame-t-elle tout sourire après son entrevue avec la Dr Claire Peloton, généraliste à qui elle s’est confiée sur sa maladie auto-immune inflammatoire. « Elle souffre du syndrome de Sharp, qui est très rare. Je l’avais étudié, vu dans des livres durant les études mais là, ce n’est plus de la théorie, note la jeune médecin. On comprend un peu mieux ce que vivent les gens au quotidien. Et on continue à apprendre sur notre métier. »
Un achat de 175 000 euros
La patiente avait dans un premier temps tenté de prendre rendez-vous avec l’association Médecins solidaires à Arnac-la-Poste (Haute-Vienne), un autre système original de lutte contre la désertification, qui repose sur le principe du temps partagé médical solidaire, avec des généralistes en provenance de toute la France qui se relaient à tour de rôle dans un centre de santé. Le modèle, qui a essaimé ailleurs dans l’Hexagone, est localement victime de son succès. « Je les ai appelés après ma chute, raconte Paulette Faucon. Ils n’avaient plus de place et ils m’ont orientée vers le médicobus. J’ai téléphoné à 9 h 30 et j’étais reçue en consultation à 11 heures. Je n’ai pas eu à attendre cinq heures aux urgences du CHU de Limoges ! »
J’ai téléphoné à 9 h 30 et j’étais reçue en consultation à 11 heures. Je n’ai pas eu à attendre cinq heures aux urgences du CHU de Limoges !
Paulette, habitante de Saint-Sulpice-les-Feuilles
Le Renault Master, quasiment 7 mètres de long, isolé phoniquement, avec une table d’examen, un point d’eau, un chauffage, une climatisation, des rangements et des prises Ethernet, a tout d’un cabinet médical dernier cri. Financé par l’ARS, la Cpam, la Mutualité sociale agricole, la communauté de communes et, dans une moindre mesure, les municipalités, il a été équipé par le groupe Gruau, connu pour s’occuper des voitures des pompiers. Ce véhicule en location, dont la valeur à l’achat est de 175 000 euros, présente un budget de fonctionnement à l’année de 200 000 euros.
« Ce n’est peut-être pas LA solution contre la désertification mais c’est l’une des solutions, note l’assistant médical Pascal Grospas, chargé de toute la partie administrative. Depuis que nous sommes partis sur les routes, nous rencontrons essentiellement des patients ravis de cette solution. »
Jusqu’à 20 patients par jour
Dans le secteur, pharmaciens, médecins, municipalités et le centre 15 ont en leur possession le planning des tournées du médicobus et n’hésitent pas à orienter les patients vers cette solution mobile.
Chaque jour présent dans une commune différente, ouvert de 9 à 13 heures et de 14 à 17 heures, le camion accueille en moyenne cinq à six patients par jour. « Nous pouvons monter jusqu’à 16 à 20 patients », relate le Dr Pierre-Jean Baudot, médecin généraliste, référent médicobus et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du nord-est de la Haute-Vienne.
Cette association, créée en 2019, promeut l’accès aux soins partout en campagne, fait de la prévention, du dépistage et crée une dynamique entre professionnels du secteur. « Pendant des années, j’ai reçu des patients qui effectuaient 40 à 50 kilomètres pour venir me voir à La Jonchère-Saint-Maurice, où j’exerce. Je voyais aussi des communes en manque de médecins qui appelaient à l’aide. Je trouvais intéressant de donner de son temps pour exercer au sein d’un cabinet mobile en allant à la rencontre des patients. »
Depuis, une quinzaine de généralistes, quatre sages-femmes et deux assistants se relaient. « Les sages-femmes reçoivent des jeunes filles comme des femmes âgées, font du suivi gynécologique, parlent de ménopause. Elles sont essentielles, apportent une réponse aux problématiques des femmes en milieu rural », résume la Dr Peloton.
« Ce sont mes médecins traitants »
Stéphanie Benard, habitante de Dompierre, suit un traitement de fond tous les trois mois et n’a pas manqué, ce jour-là, son rendez-vous. « Désormais, ce sont mes médecins traitants. Les avoir, ce n’est que du bonheur ! L’autre jour, ma petite-fille avait beaucoup de fièvre. La nounou a appelé le Samu qui nous a orientés vers le médicobus. Ma petite-fille avait une angine et une belle otite. Heureusement, ils étaient là. Sans médecin en milieu rural, on est démunis ! »
Seule ombre au tableau, remarquée après quelques jours d’utilisation : l’absence d’accès à internet dans certains secteurs, qui pourrait malgré tout être compensée par une connexion satellitaire. Car souvent, et ce n’est pas le moindre des soucis, désert médical et zone blanche vont de pair.
Un modèle qui fait son chemin
Haute-Vienne, Lozère, Cher, Alpes-Maritimes… La France compte 11 médicobus opérationnels et 24 projets labellisés. Dans son pacte contre les déserts médicaux, le gouvernement Bayrou a annoncé en avril le lancement d’une « vague 2 » et l’extension du dispositif à des camions davantage ciblés (ouverture à la prévention, médicobus spécialisés, etc.). Si elle séduit, l’idée n’est pas nouvelle. Le premier médicobus a pris la route en 2020 dans l’Orne. À l’été 2023, l’État a sanctuarisé dans son plan France Ruralités le déploiement de 100 médicobus (sur trois ans et à titre expérimental) avant fin 2024. Certes, le compte n’y est pas, mais la dynamique semble lancée, notamment au regard des retours de terrain très positifs des patients. Les plus difficiles à convaincre sont souvent les élus, qui préfèrent pour des raisons politiques miser sur le développement de centres de santé. Les municipales de 2026 seront un bon test pour voir si les maires s’emparent davantage de cette ingénieuse idée.
A. B.-I.
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