« Si l’ANSM NOUS PRIVE, nous les 50 000 généralistes, des seules molécules efficaces pour prendre en charge les millions de patients qui ont un problème avec l’alcool et si elle préfère s’en remettre à quelque 300 alcoologues, elle va nous libérer d’une bonne part de notre travail, alors que nous sommes tellement surmenés ! En prime, elle va faire un grand plaisir au lobby des alcooliers ! » Généraliste dans les Yvelines, professeur de médecine générale à l’université de Versailles, le Dr Albert Ouazana choisit de réagir avec ironie. Mais la perspective de la publication d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) excluant les omnipraticiens de la possibilité de prescrire ces traitements prometteurs se répand comme une traînée de poudre. Le Pr Bernard Granger a allumé la mèche en lançant, le 24 avril, son cri d’alarme « Plus de cent morts par jour, ça suffit ! ». Il dénonce « un scandale de santé publique » dans un appel, cosigné par une trentaine de personnalités, dont l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique, le Pr Didier Sicard.
Première ligne.
« Cette affaire relève bien d’un scandale, estime le Pr Pierre-Louis Druais, président du Collège de médecine générale (CMG). Ce sont, dans la totalité des cas, les généralistes qui interviennent en première ligne sur les pathologies alcooliques. Leur approche est souvent reconnue comme la plus compétente, souligne-t-il. À telle enseigne que de nombreux centres d’addictologie sont dirigés par des généralistes et non par des spécialistes. »
« En fait, s’indigne la présidente de l’association Baclofène, qui anime sur Internet une chaîne de solidarité entre patients, Sylvie Imbert, les addictologues et les alcoologues mettent actuellement la pression sur l’ANSM parce qu’ils craignent de voir la survie de leurs services compromise par des médicaments délivrés en ville. Pour la co-présidente d’AUBES (Association des usagers de baclofène), Marion Gaud, « si les généralistes devaient être mis sur la touche, tout le combat d’entraide et solidarité mené depuis 2009 devrait être repris à zéro. » Le Dr Patrick de la Selle, qui préside le RESAB (réseau de médecins prescripteurs, avec un fichier national de 500 généralistes prescripteurs), ajoute : « Avec ou sans RTU, la messe est dite ; bien sûr on préférait la RTU, pour lever la réticence qu’éprouvent certains praticiens. Mais tous nos prescripteurs continueront à prescrire, qu’ils en aient ou non l’autorisation. C’est une question de survie pour des centaines de milliers de patients. »
Mépris ou protection ?
Côté syndical, la colère gronde aussi. Dénonçant une « erreur de réponse à une urgence de santé publique », le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, s’élève contre « le mépris inqualifiable que manifesterait une mesure d’exclusion des généralistes, traités une fois de plus comme des médecins incompétents. » « Depuis un mois, la rumeur circule, observe pour sa part le Dr Claude Leicher, comme déjà dans le passé pour d’autres prescriptions. Si l’ANSM venait à confirmer cette option, MG France lancerait un appel à la désobéissance aux recommandations de l’agence », menace par avance son président.
Face au tollé, le responsable d’un des deux essais cliniques en cours plaide pour qu’on lui laisse le temps de finir les inclusions et les analyses, qui seront publiées à la fin de 2014. « Il sera alors temps d’ouvrir la prescription larga manu », estime-t-il. Chef de clinique en addictologie à Fernand-Widal, le Dr Michaël Szprync recommande aussi un délai : « Aujourd’hui, constate-t-il, les généralistes sont sous la pression frénétique des patients, il faut les en protéger. Si on les laisse prescrire, seuls dans leur coin, ça va coincer. Déjà, nous rencontrons de plus en plus de cas de double sevrage : baclofène et alcool. » « Il faut d’abord que les généralistes se forment en addictologie », souligne le Pr Michel Goudemand, psychiatre au CHRU de Lille.
Au chapitre de l’intérêt d’une information sur la prescription, tout le monde semble d’accord, y compris les associations. En plus des forums médicaux (http://medecin-baclofene.fr/portal.php), elles programment des sessions, en partenariat avec l’Association pour la formation des médecins libéraux (AFML).
Pour l’heure, la mobilisation bat son plein. La journée « Alcool, plus de 100 morts par jour, ça suffit ! »* le 3 juin à l’université Paris Descartes, devrait constituer un point d’orgue autour du Pr Sicard et de nombreux académiciens, tels le Prs Jacques-Louis Binet et Gérard Dubois. Avec la présence annoncée du Pr Dominique Maraninchi, président de l’ANSM.
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