S’AGISSANT de douleurs ostéo-articulaires, de nombreuses études objectivent des inégalités dans la fréquence, l’intensité, la localisation et la réponse au traitement des femmes par rapport aux hommes. La fréquence de ces douleurs est en effet plus importante chez les femmes que chez les hommes, tant chez les personnes âgées que chez les plus jeunes. Chez la femme jeune, les douleurs multiples sont plus importantes que chez le jeune homme et cette différence ne fait que s’accentuer avec l’âge puisque, après 72 ans, elles concernent deux-tiers des femmes de plus de 72 ans et la moitié des hommes, avec des douleurs diffuses pour 1 femme sur 7 et 1 homme sur20.
Quelques hypothèses explicatives.
Les femmes semblent exposées à un plus grand nombre de facteurs de risque de douleurs que les hommes : on compte 40 fois plus d’actes violents réalisés par les hommes que par les femmes et plus de 90 % des actes de violence conjugale sont perpétrés par les hommes contre les femmes. Des antécédents de violence dans l’enfance génèrent une plus grande fragilité comme le suggère la plus grande incidence de la fibromyalgie, trois fois supérieure chez les femmes ayant subi des viols. Certaines caractéristiques psychologiques entrent aussi en jeu : ainsi, les femmes sont plus sensibles à l’effet de « contamination douloureuse » (symptômes douloureux nombreux avec localisations similaires à celles de leurs conjoints/es au sein des couples dont l’un des membres est malade) que leurs homologues masculins et ont par ailleurs une plus grande capacité d’empathie que les hommes. Enfin, leur mode de vie, leur laissant globalement moins de loisir et de repos du fait de la multiplicité et du cumul de diverses fonctions (vie professionnelle, de couple, de mère), constitue sans doute aussi un facteur de risque de douleurs.
Parallèlement à ces facteurs psychologiques et socio-environnementaux, des facteurs biologiques semblent indiscutables pour expliquer cette différence face à la douleur. L’étude de la sensibilité à la douleur par des tests d’application de capsaïcine ou de froid, par exemple, montre que le niveau de douleur est plus important chez les femmes que chez les hommes mais qu’en revanche, son application déclenche chez ces derniers plus d’anxiété. En outre, en cas de stimulation nociceptive répétée, les femmes semblent plus incommodées par la sommation temporelle que ne le sont les hommes. Les femmes seraient donc plus sensibles à la stimulation nociceptive et auraient une tolérance plus faible à la douleur.
Dans des modèles animaux, les souris femelles réagissent plus intensément que les souris mâles aux stimulus nociceptifs intenses, mais ces dernières sont en revanche plus vite soulagées que les femelles, sauf s’il existe un stress surajouté. S’agissant de sensibilité au traitement dans un modèle murin, les femelles s’avèrent moins sensibles que les mâles à l’activité antalgique du tramadol.
Que se passe-t-il au niveau cérébral ? Des études en IRM fonctionnelle montrent que, pour une même stimulation douloureuse, les hommes recrutent mieux les zones cérébrales riches en récepteurs opioïdes (thalamus, amygdale, noyau accumbens…). Ces zones participant, entre autres, aux contrôles inhibiteurs descendants (CID).
Quelles sont les hypothèses permettant d’expliquer cette différence ? Les estrogènes tout d’abord, qui semblent jouer un rôle important et freinateur dans la modulation de la neurotransmission opioïde, autrement dit dans le vécu cérébral de la douleur ostéo-articulaire. En effet, plus le taux sérique d’stradiol est élevé, meilleure est l’utilisation des CID. Les strogènes agissent également à d’autres niveaux puisque leur influence sur l’expression des gènes de substances impliquées dans la nociception (NGF, substance P) est avérée, comme la présence de leurs récepteurs sur les neurones riches en opioïdes de la moelle épinière et du cerveau.
De nombreuses données expérimentales plaident en faveur de ces caractéristiques neurophysiologiques : le fait de donner des strogènes à des rates ovariectomisées par exemple augmente la transcription des enképhalines dans la moelle épinière. En clinique, la fréquence des douleurs ostéo-articulaires (environ une femme sur deux a des arthralgies sévères) apparaissant lors des traitements par les médicaments anti aromatases confirme aussi le rôle des strogènes dans la modulation de la sensibilité à la douleur. La réduction des strogènes favorise l’apparition de l’arthrose. Une étude prospective (MR Sowers) montre que le risque de développement d’une gonarthrose à 3 ans est fonction du taux d’stradiol en phase folliculaire précoce.
Inversement, dans une étude d’observation chez des femmes prenant un traitement hormonal de la ménopause (THM), le volume cartilagineux tibial s’est avéré plus important après 5 ans de THM même après ajustement pour d’autres variables comme l’âge, l’ancienneté de la ménopause, le tabagisme, le poids…
Ces inégalités sexuelles en matière de douleur méritent donc d’être prises en compte dans le choix et la conception des traitements. D’où la nécessité de poursuivre les travaux de recherche expérimentale animale, non plus seulement chez les mâles, mais également chez les femelles, de déterminer encore plus précisément les mécanismes neurologiques centraux et périphériques, tissulaires (cartilage, os, muscle) et psychologiques de la douleur afin de pouvoir proposer des « traitements à la carte ».
* D’après un entretien avec le Dr Rose-Marie Javier, CHRU, Strasbourg.
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