Décontamination digestive sélective

Bénéfices potentiels et risques…

Publié le 27/11/2014
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La décontamination digestive sélective (DDS) est une technique de prévention des infections chez des patients à risque dont la trachée est intubée. Elle associe le lavage des mains, une politique de restriction des antibiotiques, et un protocole dès l’admission consistant en une antibiothérapie systémique (céphalosporine de type cefalozine ou cefotaxime, en IV) pendant 3 jours maximum et une antibiothérapie topique (antibiotiques non absorbables : colimycine, fungizone et tobramycine ou gentamycine) administrée dans la sphère ORL et le tube digestif (par une sonde gastrique) pendant toute la durée de la ventilation mécanique (VM). L’antibiothérapie topique vise à réduire les infections par bactérie gram négatif, sans affecter la flore anaérobie.

Quels bénéfices en attendre ?

Cette stratégie d’antibiothérapie topique, le temps de la VM, associée à une antibiothérapie systémique, limitée aux 3 premiers jours, a montré sa capacité à réduire non seulement de près de 20 % les infections totales chez les traumatisés (1) mais aussi la mortalité dans trois essais randomisés (2,3,4). Les méta-analyses montrent que seule l’association d’une antibiothérapie topique et systémique a un effet favorable sur la mortalité, l’antibiothérapie topique seule étant sans effet.

Les risques potentiels

« La DDS est une technique qui est potentiellement à risque. Elle a montré son efficacité aux Pays-Bas, pays d’Europe qui consomme le moins d’antibiotiques et où la prescription y est la mieux maîtrisée. Cette stratégie est-elle exportable en France, troisième plus gros consommateur d’antibiotiques au niveau européen, où la prescription d’antibiotiques n’est pas toujours justifiée et adaptée ? La DDS ne pourra s’accompagner d’une diminution des résistances globales que si parallèlement la prescription totale d’antibiotiques diminue… sinon, les résistances risquent de flamber. Certes, des études (notamment une méta-analyse et une étude randomisée publiées récemment) montrent que la DDS est associée à une baisse des résistances aux antibiotiques. Mais ces études ont essentiellement été réalisées aux Pays-Bas… Des augmentations sporadiques de résistance associées à l’utilisation de la DDS ont été rapportées avec les entérobactéries, moins avec les staphylococcus aureus résistants à la méthicilline (SARM). Récemment, une étude utilisant l’ADN bactérien du microbiome digestif a montré une augmentation des bactéries anaérobies résistantes après DDS. Cet effet sera-t-il significatif en clinique ? », se demande le Pr Leone.

Prudence avant de se lancer…

« La guerre contre les bactéries multirésistantes impose d’économiser les antibiotiques. Avant de vouloir implémenter la DDS en réanimation, commençons par adopter une stratégie d’économie drastique des antibiotiques. Et si on se lance, surveillons en routine d’une part l’écologie du service et d’autre part la consommation globale d’antibiotiques. La DDS est une option pour améliorer la survie en la réservant au patient sous VM. La meilleure cible est probablement le patient non préalablement exposé aux antibiotiques, qui n’est pas colonisé par des bactéries multirésistantes lors de son admission (traumatisé, brûlé, arrêt cardiaque…), explique Le Pr Marc Leone, qui invite à réfléchir nationalement à un emploi plus large de la DDS mais de façon contrôlée ».

D’après un entretien avec le Pr Marc Leone, Hôpital Nord, Marseille

(1) Stoutenbeek CP, et al. Intensive Care Med. 1984;10(4):185-92

(2) de Smet AM, et al. N Engl J Med. 2009;360(1):20-31

(3) de La Cal MA, et al. Ann Surg. 2005;241(3):424-30

(4) de Jonge E, et al. Lancet 2003;362(9389):1011-6.

Dr Sophie Parienté

Source : Bilan spécialistes