« Les membres de la famille d’un patient ne sont pas de simples visiteurs dans un service de réanimation : ils jouent un rôle actif, en réconfortant le patient et en aidant les soignants à le connaître, à le personnaliser et à prendre des décisions », rappelle Nancy Kentish-Barnes, sociologue et codirectrice du groupe de recherche « Famiréa », aux côtés du Pr Élie Azoulay, médecin réanimateur à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP).
Cette équipe pluridisciplinaire travaille depuis une vingtaine d’années à objectiver et comprendre ce rôle. Pendant l’épidémie, des enquêtes (1,2,3) à la fois quantitative (questionnaire) et qualitative (entretien semi-directif) ont été menées auprès des professionnels de santé, des patients survivants et des proches. « Nos différents résultats se complètent et confirment ce que nos recherches sur l’expérience des familles ont déjà montré, à savoir qu’on ne peut pas faire de réanimation sans les familles », explique la sociologue.
Au début de la pandémie, l’interdiction des visites dans les services de réa a généré chez les soignants un sentiment d’inhumanité, des difficultés à interagir avec les familles et à prendre des décisions. Du côté des familles, ce sont des sentiments d’impuissance et d’incompréhension qui se sont exprimés. De précédents travaux ont montré qu’« en temps normal, les familles ne comprennent que la moitié des informations données par les équipes soignantes. La distance a encore détérioré cette transmission », observe Nancy Kentish-Barnes.
L'irréalité d'une fin de vie à distance
Le fait de ne pas voir le patient ne permet pas non plus de prendre conscience de la gravité de son état. « Des familles racontent le départ de leur proche avec des difficultés respiratoires mais conscient. Elles ne l’ont ensuite jamais revu, ni vivant, ni mort. C’est violent et source d’incompréhension », relate-t-elle, soulignant le difficile travail de déconstruction de l’espoir des familles à distance.
Les mesures de restrictions n’ont par ailleurs pas permis de mettre en place les rituels habituels, de faire des adieux. « Nos précédents travaux montrent qu’en réa, l’absence d’adieu est associée à une augmentation du risque de développer un deuil compliqué chez les proches six mois à un an après le décès. Avec le Covid, les familles ont pu avoir le sentiment que leur proche leur avait été arraché », souligne la sociologue.
Face à cette situation inédite, des contacts par téléphone ou en visio ont été établis et ont reçu un accueil favorable des familles. « Ce qui a été apprécié, ce sont les appels téléphoniques quotidiens à heure fixe, de préférence avec le même interlocuteur. Ce cadre permet de ne pas susciter l’attente du coup de fil chez les proches et d’assurer une forme de continuité, de lien », rapporte-t-elle.
Les contacts en visio se sont révélés plus complexes, appréciés par certaines familles, mais ambigus pour d’autres. « Voir le patient endormi dans un lit de réa ne rassure pas toujours. L’effet peut être anxiogène. Il faut bien encadrer ce type de pratiques, penser à ce qu’un membre de l’équipe soit présent et explique ce qu'il se passe », souligne Nancy Kentish-Barnes. Quant aux adieux par visio, « ces moments douloureux pour les familles ont généré un sentiment d’impuissance chez les soignants qui ne pouvaient pas réconforter les familles, afficher leur soutien », poursuit-elle.
Institutionnaliser les nouvelles pratiques
Ces nouvelles pratiques sont en cours d’évaluation dans plusieurs pays et des recommandations de bonnes pratiques prennent forme. « On commence à avoir du recul. On voit que l’on ne peut pas laisser les familles à la porte des services. C’est délétère pour tout le monde », constate la sociologue, plaidant pour la mise en place de protocoles pour la communication à distance. « Ces pratiques peuvent être utiles hors situation de crise lorsqu’un proche, par exemple, est trop éloigné pour se rendre à l’hôpital », argue Nancy Kentish-Barnes.
Pour les soignants, qui ont eu l’énorme responsabilité de pallier l’absence des familles, les « débriefs » ont été essentiels. Si des hôpitaux ont mobilisé des psychologues dans les services, ce soutien aux équipes a pu manquer. « Il est essentiel que les soignants ne restent pas seuls avec leur stress, leur fatigue, leur culpabilité, mais tous n’ont pas bénéficié d’un accompagnement, déplore la responsable de « Famiréa ». Même si c'est difficile pour les équipes de faire un débrief tant qu’on n’est pas sorti de la crise, c’est une nécessité ».
(1) E. Azoulay et al. American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, nov 2020. DOI: 10.1164/rccm.202006-2568OC
(2) E. Azoulay, et al. Chest Journal, mai 2021. doi.org/10.1016/j.chest.2021.05.023
(3) N. Kentish-Barnes et al. Critical Care Medicine, 2021. DOI: 10.1097/CCM.0000000000004939
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