PAR LE Pr KAMRAN SAMII*
LE BON VIEUX temps où la vie était rose est un grand classique dans notre mémoire collective. Pour un anesthésiste-réanimateur formé dans les années 1970, il est bon de se rappeler ce bon vieux temps où nous pratiquions une médecine non déshumanisée, moins polluée par la paperasse et utilisions notre sens clinique aiguisé. Les structures étaient à l’échelle humaine avec une ambiance conviviale et la pression médico-légale et financière ne rendait pas la vie insupportable comme aujourd’hui. En ce temps-là, nous, on faisait de la vraie bonne médecine.
Dans ces années-là, les patients se réveillaient souvent dans les couloirs des blocs avant de rejoindre leur chambre avec une analgésie per- et postopératoire a minima pour qu’ils ne « s’arrêtent pas de respirer ». Nous les avions découverts pour la première fois la veille de l’intervention, dans leur chambre avec leur « bilan préop », fait d’un ECG, d’une radio de thorax et d’un bilan sanguin avec groupe, pratiqués systématiquement, juste pour se couvrir. L’information du patient et le recueil du consentement étaient considérés comme inadaptés à la mentalité française. En France, les patients nous faisaient confiance, contrairement à ceux des pays anglo-saxons procéduriers et tatillons.
Dans ces années-là, laisser arriver le patient le matin de son intervention, puis le laisser sortir le jour même était inconcevable. Il rentrait la veille ou parfois même quelques jours avant son intervention pour être « bilanté ». Puis nous gardions tous les opérés en postopératoire par soucis de sécurité. Nous n’allions quand même pas envoyer dans la nature ces rescapés de nos techniques.
Durant ces années-là, la formation des jeunes était aléatoire. Le CES était fondé sur un enseignement théorique sanctionné par un examen national. Mais leur formation pratique dans les stages ne comportait pas une maquette exhaustive : c’était un mélange de stages formateurs et encadrés et de stages « d’immersion », un euphémisme pour parler de stages sans encadrement, répondant aux besoins de fonctionnement des blocs. Elle ne durait que trois ans (et même deux ans à une certaine époque) et ne comportait que rarement de la réanimation. Les internes des CHU qui voulaient devenir anesthésistes-réanimateurs avaient, eux, le privilège d’avoir l’équivalence du CES simplement en ayant fait trois semestres en anesthésie ou en réanimation, sans contrôle des connaissances.
Dans ces années-là, le fossé entre privé et public était caricatural. Dans le privé l’efficacité, le travail sur plusieurs salles, souvent sans IADE, et aucun rôle dans l’enseignement et la recherche. Dans les CHU, la lourdeur de l’organisation et de la hiérarchie et, pour la plupart des universitaires, une absence totale d’activité clinique sur le terrain.
Dans ces années-là, nous étions tous orphelins d’une vraie société savante fédératrice. Il n’y avait pas de congrès national, de recommandations d’experts ni de conférence de consensus. Nos pratiques étaient dictées par les écoles dont nous étions issues. Et lorsqu’un jeune demandait à son aîné quelle était la procédure recommandée dans certaines situations, il lui répondait « moi j’ai appris ça comme ça ».
Oui, tout ça aussi c’était avant.
Aujourd’hui, nous voyons nos patients sereinement en consultation avec un minimum d’examens complémentaires, mais en prenant le temps de les informer. Nous les transférons en postopératoire en salle de réveil où l’analgésie est un objectif majeur. Nous faisons la chasse à l’indication de l’ambulatoire car nous sentons bien que le patient peut être aussi bien, si ce n’est mieux, chez lui.
Aujourd’hui, les internes combinent une formation théorique et une formation pratique fondée sur une maquette stricte, qui comprend aussi bien l’anesthésie que la réanimation.
Aujourd’hui, de nombreux anesthésistes-réanimateurs du privé participent à la formation de leurs collègues avec talent et ont une démarche scientifique, tandis que la plupart des universitaires pratiquent avec compétence ce qu’ils enseignent, y compris en garde.
Aujourd’hui, enfin, on peut reposer nos pratiques sur la SFAR qui, avec le Congrès national et ses recommandations, est devenue la colonne vertébrale de toute la spécialité.
On peut donc rester passéiste par jeu ou par provocation, mais soyons conscients des progrès faits depuis « ce bon vieux temps » et préparons-nous déjà à un futur qui sera nécessairement différent.
* Centre hospitalier de Rodez.
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