PAR LE Pr BERTRAND DEBAENE*
MALGRÉ DES améliorations indiscutables, l’administration des agents halogénés comporte encore des risques liés à la technologie indispensable pour, d’une part, maîtriser les coûts et, d’autre part, réduire leurs effets polluants sur notre environnement. En effet, aujourd’hui la totalité des stations d’anesthésie autorise l’utilisation de circuits avec réinhalation. L’avantage principal de ce type de circuit est la diminution importante de la consommation d’agents inhalés (halogénés et protoxyde d’azote). En revanche, les gaz expirés enrichis en dioxyde de carbone doivent, avant d’être réinhalés, passer au travers d’absorbeurs de CO2 afin d’en réduire la concentration. Malheureusement, le passage des agents halogénés au travers de ces absorbeurs n’est pas inerte et conduit à la production de composés dont la toxicité a été particulièrement étudiée. Il s’agit pour l’isoflurane et le desflurane de la production de monoxyde de carbone et pour le sévoflurane du fameux composé A.
Le composé A a été accusé de provoquer des lésions rénales sur un modèle de rats exposés pendant plusieurs heures à son inhalation. Une concentration supérieure à 100 particules par million (ppm) inhalée pendant au moins une heure provoque une destruction de la moitié du capital néphronique. En fait, la concentration en composé A n’est pas le seul déterminant de cette atteinte rénale car celle-ci n’est possible qu’après métabolisation du complexe composé A-cystéine par une enzyme de la cellule rénale : la ß-lyase. Les données expérimentales ont montré que cette ß-lyase est 20 fois moins active chez l’homme que chez le rat et, par ailleurs, que la concentration inhalée de composé A est rarement supérieure à 25-30 ppm, même dans des conditions extrêmes. Ces deux éléments expliquent en partie pourquoi aucune néphrotoxicité n’a pu être démontrée chez l’homme, à la fois sur des données recueillies chez le volontaire que chez les patients à fonction rénale normale ou altérée en préopératoire. En revanche, lorsque le sévoflurane traverse un absorbeur de CO2 desséché, une réaction thermique avec production de méthanol peut survenir et être à l’origine d’une explosion de la station d’anesthésie. Des cas ont été rapportés dans la littérature provenant des États-Unis, où un absorbeur de CO2 comprenant des bases fortes (soude, potasse et baryum) était le plus souvent employé. Ces mêmes absorbeurs de CO2 ont été reconnus responsables de la production de monoxyde de carbone, lorsqu’ils sont également desséchés. Les premiers cas décrits concernaient des patients pris en charge au décours d’une longue période de non-utilisation de la station d’anesthésie restée connectée sur les alimentations murales de fluides médicaux (oxygène, protoxyde d’azote et air médical). Des concentrations extrêmement élevées de carboxyhémoglobine ont alors été observées, expliquant les retards de réveil constatés. On comprend donc que le nœud de la toxicité des halogénés liée aux circuits avec réinhalation passe par la composition et la qualité de l’absorbeur de CO2.
En fait, il existe trois principaux types d’absorbeurs de CO2 : ceux comprenant plusieurs bases, déjà évoqués précédemment et aujourd’hui retirés du marché mondial ; ceux contenant de la chaux sodée et, enfin, ceux totalement (ou presque) dépourvus de bases fortes. L’avantage des absorbeurs dépourvus de bases fortes est de ne produire que des quantités négligeables de composé A, même en présence de très bas débits de gaz frais et également de faibles quantités de monoxyde de carbone. Cependant, ces absorbeurs ont une capacité de stockage de CO2 réduite par rapport à la chaux sodée (de l’ordre de 30 à 40 %), nécessitant un changement plus fréquent au cours de l’anesthésie. Enfin, ces produits sont plus chers que les chaux conventionnelles.
Des règles à connaître et à respecter.
Le choix de l’absorbeur est finalement de la responsabilité des équipes médicales. Quoi qu’il en soit et quel que soit l’absorbeur retenu, les règles de bonnes pratiques de l’utilisation des halogénés au travers d’un circuit avec réinhalation doivent être connues et respectées. Ces règles sont :
1) remplacer l’absorbeur quand il est desséché ou lorsqu’il existe un doute sur la date du dernier changement de chaux dans le canister. Ce cas est particulièrement fréquent dans les zones où l’activité d’anesthésie est peu fréquente (salle de pré-induction, bloc délocalisé, salle de radiologie ou encore station d’anesthésie présente dans les salles de naissance) ;
2) vérifier l’intégrité du conditionnement de la chaux lors de son renouvellement. Il est important de s’assurer que le container était bien bouché et ne présentait pas de fissure. Dans le cas contraire, le taux d’humidité nécessaire au bon fonctionnement de la chaux, normalement de 15 %, peut être plus faible et produire du monoxyde de carbone ;
3) éviter tout écoulement de gaz à travers le circuit d’anesthésie en dehors de toute anesthésie. Un tel écoulement peut conduite à la dessiccation de la chaux avec les conséquences évoquées plus haut ;
4) mettre l’évaporateur d’agents halogénés en position fermé entre deux utilisations ;
5) vérifier périodiquement en cours d’anesthésie la température du canister de manière manuelle. En effet, aucune station d’anesthésie ne permet la mesure de la température du canister, seule une surveillance clinique étant possible ;
6) vérifier au cours de l’anesthésie la correspondance entre la concentration affichée sur l’évaporateur et celle obtenue dans la branche inspiratoire du circuit patient (en tenant compte du débit de gaz frais). Une discordance entre ces deux concentrations serait la traduction d’une dégradation prononcée de l’agent halogéné par un absorbeur desséché ;
7) penser à changer l’absorbeur non pas sur le changement de coloration du violet d’éthyle mais sur l’apparition d’une réinhalation de CO2 lue directement sur le capnomètre.
*CHU de Poitiers
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