TOUTE LÉSION tissulaire entraîne une activation de la fibrinolyse, dont l’intensité est corrélée à l’importance des lésions. L’ischémie vasculaire (induite par un garrot ou une plicature des vaisseaux), entraîne elle aussi une activation de la fibrinolyse, variable selon la durée de cette ischémie. Ceci permet de comprendre l’intérêt de l’acide tranexamique en chirurgie et les variations de son efficacité à réduire non seulement les pertes sanguines mais surtout la transfusion. Les déboires de l’aprotinine assurent actuellement à l’acide tranexamique (ATX) une plus grande popularité.
Antifibrinolytique et anti-inflammatoire.
L’ATX est une molécule de synthèse dérivée des analogues de la lysine. Elle se lie de façon réversible aux sites de liaison lysine du plasminogène et de la chaîne lourde de la plasmine, protéase principale du système fibrinolytique. La saturation de ce site par l’acide tranexamique prévient la fixation du plasminogène et de la plasmine sur la fibrine, et ainsi sa protéolyse. Ce mécanisme inhibe donc la fibrinolyse.
L’ATX exerce également un effet protecteur plaquettaire indirect en diminuant la génération des D-dimères et en bloquant partiellement l’activation plaquettaire induite par la plasmine. C’est donc un antifibrinolytique indirect qui inhibe la fixation du plasminogène à la fibrine. Cependant il est important de commencer le traitement avant les trois premières heures de saignement pour inhiber la fibrinolyse avant que la coagulopathie de l’hémorragie ne devienne majeure, comme cela a été démontré (1).
L’ATX a aussi des propriétés anti-inflammatoires en bloquant les sites du plasminogène. Il a une demi-vie d’élimination de 3 heures, un bas poids moléculaire, et ne subit pas de biotransformation. Contrairement à l’aprotinine, l’ATX n’induit pas de risque allergique. Il n’est que très légèrement métabolisé par le foie et est éliminé à 90 % par voie urinaire (excrétion glomérulaire sans réabsorption tubulaire). Sa biodisponibilité s’élève à 30-50 % après administration orale. L’ATX se présente sous forme de comprimé (500 mg), de solution buvable (1 g/10 ml) ou de solution injectable (0,5 g/5 ml).
En chirurgie orthopédique, cardiaque, hépatique…
Les données en faveur de l’efficacité de l’acide tranexamique en peropératoire sont de plus en plus nombreuses.
En chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle (CEC), son efficacité a été montrée par plusieurs études et confirmée par une méta-analyse (2). L’ATX trouve aussi sa place dans les hémorragies du post-partum, où il réduit le saignement, comme l’a souligné une étude française, EXADELI.
En orthopédie, l’ATX est largement utilisée et depuis longtemps en Europe du Nord. Plusieurs méta-analyses retrouvent une épargne transfusionnelle sous traitement autour de 35 % après prothèse totale du genou (PTG) et de 28 % après prothèse totale de hanche (PTH). En pratique il est souhaitable de faire plusieurs bolus de 1 g sur les 12-24 premières heures. En chirurgie du rachis (scoliose chez l’enfant), le saignement est réduit de 41 % par rapport au groupe placebo, mais les doses utilisées sont de 100 mg/kg.
Une récente méta-analyse de 129 essais cliniques randomisés (3) confirme la réduction du saignement et de la transfusion en chirurgie orthopédique, cardiaque, hépatique, urologique et vasculaire.
En traumatologie, une grande étude randomisée, CRASH-2 (4), incluant 20 211 traumatisés dans 40 pays montre que l’administration d’ATX selon un schéma simple (1 g en 10 minutes puis 1 g en 8 heures) réduit les décès par hémorragie ainsi que la mortalité globale (14,5 % sous ATX versus 16 % sous placebo, RR : 0,91 (0,85-0,97) p ‹ 0,01) et les IDM 0,3 % sous ATX, 0,5 % sous placebo (RR à 64 (0,42-0,97), p = 0,08) de façon d’autant plus marquée que l’administration est précoce.
Les contre-indications absolues de l’ATX sont les antécédents de convulsions et l’insuffisance rénale sévère. Le risque thrombotique, longtemps craint, n’a été confirmé par aucune étude. L’étude CRASH-2 a même montré une diminution des thromboses artérielles associée à l’ATX. Les effets indésirables de l’ATX sont rares (troubles gastro-intestinaux liés à une perfusion trop rapide, troubles cardiovasculaires (malaise avec hypotension), et de convulsions en cas de surdosage).
La posologie de l’ATX n’est pas codifiée et est très variable selon les études Il est donc admis de choisir la dose minimale et facile d’utilisation (15 mg/kg) par bolus soit 1 g/bolus chez l’adulte.
La durée du traitement est également variable d’une étude à l’autre, allant du peropératoire strict jusqu’à 16 à 18 heures postopératoires. Une étude sur la durée de l’activation de la fibrinolyse en orthopédie après PTH et PTG (5) montre que les D-Dimères atteignent un pic de 12 000 après PTG et 6 000 après PTH à la sixième heure postopératoire et la durée totale est d’environ 18 heures après l’intervention. De plus, le temps de génération de thrombine mesuré en préopératoire, à la sixième et à la dix-huitième heure n’est pas différent entre les groupes ATX et placebo et surtout ne varie pas entre le pré— et le postopératoire immédiat (16-18 heures). Ce test suggère que le risque thromboembolique veineux est peu important le jour de l’intervention et surtout qu’il n’est pas augmenté par l’ATX dans les premières heures postopératoires. Ainsi, nous proposons un schéma d’utilisation en orthopédie qui prend en compte ces données et celles sur l’inhibition du processus inflammatoire (voir tableau). Néanmoins, ce schéma n’est pas encore validé par une grande étude.
Le coût de l’ATX est très modéré, moins de 1 euro pour 1 g. En évitant le recours à la transfusion il permet une réduction des dépenses (prix des concentrés de globules rouges, transports des CGR, récupérateurs de sang, etc.). En comparaison avec l’aprotinine, beaucoup plus chère, ses effets secondaires sont très réduits
Du fait de son très faible coût, l’ATX n’a fait l’objet que de peu d’études sur de grands effectifs qui permettraient de mieux le connaître. En particulier il reste à comprendre ses effets sur l’inhibition du processus inflammatoire qui pourrait expliquer en partie la réduction des infarctus du myocarde.
Service d’anesthésie-réanimation, groupe hospitalier Cochin-Hôtel Dieu, Paris.
(1) Crash-2 collaborators. Roberts I, Shakur H, et al. The importance of early treatment with tranexamic acid in bleeding trauma patients: an exploratory analysis of the CRASH-2 randomised controlled trial. Lancet 2011;377(9771):1096-101.
(2) Laupacis A Fergusson D. Drugs to minimize perioperative blood loss in cardiac surgery: meta-analyses using perioperative blood transfusion as the outcome. The International Study of Peri-operative Transfusion (ISPOT) Investigators. Anesth Analg. 1997;85(6):1258-67.
(3) Ker K, Edwards P, Perel P, et al. Effect of tranexamic acid on surgical bleeding: systematic review and cumulative meta-analysis. BMJ; 344: e3054.
(4) Crash-2 collaborators. Effects of tranexamic acid on death, vascular occlusive events, and blood transfusion in trauma patients with significant haemorrhage (CRASH-2): a randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2010 Jul 3;376(9734):23-32.
(5) Blanié A, Bellamy L, Rhayem YC, et al. Duration of Postoperative Fibrinolysis after Total Hip or Knee Replacement:A Laboratory Follow-up Study. Thrombosis Research 2013;131(1):e6-e11. doi: 10.1016/j.thromres.2012.11.006. Epub 2012 Nov 26.
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