Au-delà de la guérison et du suivi de la rechute après un cancer de l’enfant, vient le temps du suivi à long terme à l’âge adulte. Séquelles physiques, risque cardiovasculaire, second cancer, les complications sont plus fréquentes et le risque de décès précoce plus élevé. En France, s’il existe des consultations spécifiques dans de grands centres, la filière de soins pâtit d’un manque de structuration.
« L’intérêt pour la qualité de vie de l’après-cancer pédiatrique n’a émergé qu’à la fin des années 1970-début des années 1980. Ce n’était pas connu avant cela », explique le Dr Brice Fresneau, oncologue pédiatrique à Gustave-Roussy et responsable du programme de suivi à long terme des tumeurs solides. En France, ce n’est qu’à partir des années 2000-2010 que les consultations de suivi à long terme ont vu le jour. On en dénombre moins d’une trentaine, elles sont répertoriées sur le site de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE). Généralement assurées par des oncologues pédiatriques, elles diffèrent en fonction des centres et des moyens, et n’existent pas dans toutes les structures ayant traité les enfants et adolescents atteints d’un cancer.
De nombreuses études épidémiologiques réalisées dans les années 1980-1990 dans des cohortes de patients traités quand ils étaient enfants pour un cancer ont montré qu’ils étaient exposés à des risques de morbi-mortalité plus élevés. La littérature met en évidence des risques de second cancer mais aussi des pathologies cardiovasculaires, respiratoires, infectieuses, cérébrales, endocriniennes ou motrices.
Recontacter le centre dans lequel s’est déroulée la prise en charge initiale n’est pas toujours aisé pour les anciens patients, cela peut être vécu comme une réannonce
Dr Brice Fresneau, oncologue à Gustave-Roussy
Une consultation très spécifique
Pour la consultation de suivi à long terme, il est demandé aux anciens patients de présenter un compte rendu médical reprenant l’historique de la prise en charge, les traitements reçus, les complications, etc. « Mais ce document n’est pas systématiquement produit ou disponible, c’est un travail de synthèse conséquent », explique le Dr Fresneau. De plus, recontacter le centre dans lequel s’est déroulée la prise en charge initiale n’est pas toujours aisé pour les anciens patients, « cela peut être vécu comme une réannonce », ajoute l’oncologue de Gustave-Roussy.
La première consultation de suivi consiste à faire un bilan de santé au jour J et à passer en revue le dossier médical afin d’établir un plan personnalisé de suivi. Cet entretien est l’occasion d’informer sur les risques de l’après-cancer, pas toujours connus des patients, notamment les plus âgés. « Le premier rendez-vous de suivi à long terme se déroule vers 18-30 ans, avec un recul de cinq à dix ans après la guérison. Ce temps est nécessaire, car nous faisons parfois face à des jeunes adultes en construction avec une fragilité psychologique et émotionnelle. Un autre rendez-vous a lieu entre six mois et un an plus tard pour faire une synthèse des examens qui ont pu être prescrits. Selon les cas, la consultation peut se renouveler trois à cinq ans plus tard, en plus des suivis complémentaires », détaille le Dr Fresneau.
La Dr Amandine Bertrand, oncologue pédiatrique et responsable de la consultation Salt, reçoit des personnes ayant guéri d’un cancer dans la consultation de l’après-cancer à l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (IHOPe) à Lyon (groupement de coopération sanitaire des Hospices civils de Lyon et du centre Léon-Bérard). Ici, la consultation prend la suite du suivi assuré par les oncologues pédiatriques. Au cours du premier rendez-vous, la Dr Amandine Bertrand reçoit les anciens patients avec une infirmière de coordination pour un point clinique, l’élaboration du plan personnalisé ainsi qu’une orientation vers des soins de support. « Nous les accompagnons tant sur le plan clinique que celui des soins de support, mais aussi pour leur vie. Nous insistons beaucoup sur la fatigue chronique et psychique, les douleurs ou encore le chemobrain (troubles cognitifs et mémoriels consécutifs aux traitements anti-cancéreux, NDLR), expose l’oncologue. Ainsi, nous collaborons avec des associations qui nous permettent non seulement de financer des parcours de soins, mais qui surtout les aident à se réorienter ou à s’insérer professionnellement ».
La Dr Bertrand mène un travail de recherche soulignant l’importance des soins de support. « Les patients viennent davantage en consultation s’ils trouvent les aides qu’ils souhaitent pour le soutien psychologique, la coordination du suivi, les séquelles physiques », rapporte-t-elle. Après le premier rendez-vous, les patients sont reçus dans l’année, puis tous les deux à cinq ans selon les besoins. « Nous sommes très disponibles par mail en cas de questions, et nous proposons de la téléconsultation, les patients venant souvent de loin », précise la Dr Amandine Bertrand.
J’ai du mal à me dire que les médecins généralistes vont pouvoir dégager du temps pour ces consultations
Dr Amandine Bertrand, oncologue pédiatrique à IHOPe
Une offre de soins à organiser et à valoriser
« Même si les consultations se développent, elles ne font actuellement pas l’objet d’une organisation de l’offre de soins ni d’une valorisation de la filière active », déplore le Dr Fresneau. Ainsi, peu de centres peuvent proposer aux patients une consultation spécifique avec une équipe dédiée comme celles du Dr Fresneau ou de la Dr Bertrand. Bien que l’Institut national du cancer (Inca) ait rendu un rapport d’expertise sur la nécessité d’un suivi à long terme, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et les agences régionales de santé n’ont pas donné suite.
« Chaque centre fait selon les moyens de l’hôpital, ce sont souvent les oncologues pédiatriques qui s’emparent du sujet, mais cela peut aussi être des endocrinologues ou des internistes », indique Brice Fresneau. En l’absence de centre dédié, la coordination n’est pas toujours fluide. « Actuellement, les médecins généralistes manquent de temps et de formation, et les jeunes adultes n’ont pas tous encore de médecin traitant », insiste le Dr Fresneau. « J’ai du mal à me dire que les médecins généralistes vont pouvoir dégager du temps pour ces consultations, comme le préconise l’Inca », abonde la Dr Bertrand.
Un manque d’informations auprès des patients est à déplorer, « beaucoup ne savent pas qu’un suivi existe ni même qu’il est nécessaire. De plus, certains n’ont pas de centre près de chez eux et d’autres souffrent de précarité », expose-t-elle. Cette filière de soins manque également de recommandations sur les modalités de prise en charge, hormis le rapport publié par l’Inca en 2022. Ainsi, pour pallier l’absence de structuration, associations de patients et sociétés savantes se mobilisent pour référencer les centres et informer les anciens patients. La SFCE a nommé un comité de suivi à long terme qui compte un référent par centre et dispense des formations.