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Dossier

Cancérologie

Asco, entre optimisme et blues à Chicago

Publié le 07/07/2017
Asco, entre optimisme et blues à Chicago

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SPL/PHANIE

Grand-messe mondiale de la cancérologie, le congrès de l’ASCO a réuni plus de 30 000 personnes à Chicago. Avec de bonnes nouvelles - comme pour les cancers de la prostate métastatiques d’emblée qui devraient bénéficier d’un nouveau standard thérapeutique - mais aussi de plus en plus d’interrogations sur l’immunothérapie. Après l’euphorie, l’heure est à la pondération et au recentrage sur le patient.

« Un congrès honnête ». Pour le Pr Christophe Le Tourneau (département d’oncologie médicale de l’Institut Curie), le 53e Congrès de l’Asco (Chicago, 2-6 juin 2017) aura été un témoin plutôt fidèle de la cancérologie d’aujourd’hui. Avec à la fois des résultats importants à même de changer les pratiques, mais aussi beaucoup d’interrogations et de données mettant en évidence les limites des molécules actuelles et du « tout-médicament » (voir ici).

Les nouveaux défis de l’immunothérapie

Avec plus de 600 communications dédiées, l’immunothérapie – et plus particulièrement les inhibiteurs de « check point » qui lèvent l’inhibition du système immunitaire induite par les tumeurs – était pourtant à l’honneur cette année encore. Après la consécration des anti-CTLA-4 (comme l’ipilimumab) au début des années 2010, les anticorps anti-PD-L1 et anti-PD1 – qui empêchent l’inhibition lymphocytaire médiée par la tumeur via la fixation de ligand PD-L1 sur les récepteurs PD-1 des lymphocytes T – ont le vent en poupe.

Dans l’étude Keynote 006, l’un d’entre eux, le pembrolizumab (anti-PD1 des laboratoires MSD), a confirmé son efficacité au long cours dans le mélanome métastatique, y compris après l’arrêt du traitement. Selon les dernières données présentées par le Pr Caroline Robert (IGR, Villejuif), 98 % des patients ayant pu bénéficier d’un traitement par pembroizumab pendant deux années pleines étaient encore en vie 9 mois après l’arrêt du traitement, dont 91 % sans progression de leur maladie. « S’il est encore difficile de parler de guérison, on peut quand même dire que ces résultats sont très encourageants, puisque seuls 9 % des patients ont vu leur maladie progresser neuf mois après la fin des traitements », analyse le Pr Robert.

Au-delà du mélanome, l’immunothérapie suscite aussi des espoirs pour d’autres types de cancers. Parent pauvre des traitements actuels, le mésothéliome pourrait par exemple en bénéficier, comme le suggèrent les résultats de l’étude MAPS-2. Dans cet essai de phase 2 mené chez 125 patients porteurs d’un mésothéliome pleural récidivant après traitement classique, l’administration de nivolumab (anti-PD1 des laboratoires BMS) ± ipilimumab a été testée avec succès, avec pour la première fois chez ce type de patients des taux de contrôle de la maladie à 12 semaines > 40% (44,4 % sous nivolumab, et 50 % pour le groupe traité par nivolumab plus ipilimumab). Des réponses objectives au scanner ont aussi été rapportées chez 18 % des patients.
Selon les résultats préliminaires de l’étude CheckMate 358, l’immunothérapie pourrait aussi être intéressante dans certains cancers gynécologiques récidivants. Dans cet essai de phase 1/2 mené chez 24 patientes atteintes d’un cancer avancé du col de l’utérus (19) ou de la vulve et du vagin (5), l’administration de nivolumab a stabilisé la maladie chez 70 % des patientes, avec un taux de réponse objective de 20 %. « Nous voyons donc arriver une deuxième vague d'immunothérapie avec l'expansion de son utilisation dans un nombre croissant de types de cancer », résume le Pr Michael S. Sabel (Ann Arbor), qui commentait l’étude MAPS-2.

Pour autant, rien n’est gagné, et après une phase d’euphorie l’ambiance à Chicago était plutôt à la pondération. « Il n’y a pas eu cette année de résultats de grands essais de phase 3 en immunothérapie », souligne le Pr Christophe Le Tourneau. Par ailleurs, de plus en plus de voix soulignent les limites de cette nouvelle classe thérapeutique à la fois en termes d’efficacité (avec globalement un taux  de patients répondeurs de seulement 20% et la mise en évidence de phénomène d’échappement au traitement) mais aussi en termes de sécurité. « Ces traitements sont globalement bien tolérés, mais peuvent être assez toxiques en réactivant trop le système immunitaire », explique Christophe Le Tourneau. Dans l’étude MAPS 2, les auteurs ont raporté trois décès inhérents au traitement. De façon générale, des effets secondaires sévères sont observés chez environ 10 % des patients, essentiellement à type d’éruptions cutanées, de pneumopathie, de thyroïdites, etc.

Des associations tous azimuts

Pour contourner ces limites, l’heure est aux associations thérapeutiques, l’idée étant d’attaquer les tumeurs sur plusieurs fronts, tout en limitant les doses de chaque traitement. Qu’il s’agisse d’association de plusieurs immunothérapies entre elles, d’association immuno-chimiothérapie, voire d’association immuno-radiothérapie, « nous nous dirigeons clairement vers des cocktails de traitements à base d’immunothérapie », confirme le Pr Le Tourneau. Au-delà de l’immunothérapie, les traitements plus classiques se prêtent aussi au jeu des associations, comme en témoigne par exemple l’étude Latitude dans le cancer de la prostate. Communication majeure du congrès, cet essai de phase 3 montre que chez des patients métastatiques d’emblée, l’adjonction d’abiratérone (une hormonothérapie de 2e génération) à la castration médicamenteuse standard par agoniste ou antagoniste de la LH RH, dès le début du traitement, diminue de 38 % (HR 0,62) le risque de décès et de 53 % (HR 0,47) le risque de rechute après 30 mois de suivi. Pour le Pr Karim Fizazi (IGR, Villejuif), coordinateur de l’étude, « ces résultats devraient changer la prise en charge des patients diagnostiqués d’emblée d’un cancer métastatique de la prostate » et faire de la double hormonothérapie le traitement standard de première ligne des tumeurs prostatiques d’emblée métastatiques. Dans le même esprit, l’étude Aphinity suggère que dans les cancers du sein HER 2+, un traitement adjuvant, associant à la chimiothérapie classique deux thérapies ciblées anti-HER 2 (pertuzumab/trastuzumab) plutôt qu’une seule, pourrait diminuer le risque de récidive de 19 %. Autant de résultats qui semblent suggérer qu’une stratégie intensive d’emblée pourrait faire mieux dans certains cas.

Désescalade thérapeutique

Mais, dans le même temps, « plusieurs études se sont intéressées à la désescalade thérapeutique, avec notamment de bons résultats dans le cancer du côlon », indique le Pr Le Tourneau. Une analyse poolée de 6 essais regroupant près de 1 200 patients suggère en effet que pour les cancers du côlon de stade 3 opérés, une chimiothérapie adjuvante à base d’oxaliplatine de 3 mois pourrait être suffisante pour un certain nombre de patients alors que des cures de 6 mois sont actuellement préconisées. Une bonne nouvelle compte tenu de la toxicité neurologique cumulative de l’oxaliplatine.

Télex

Antibiotiques et immunothérapie ne font pas bon ménage. En jouant sur le microbiote, la prise d’antibiotiques pourrait avoir un impact négatif sur l’efficacité de l’immunothérapie.

Le TEP scanner ne peut pas tout Dans le cancer colorectal, la surveillance des patients à haut risque de rechute par TEP scanner ne permet pas d’améliorer leur pronostic, selon une étude menée par I Sobhan et al. En fait, même si cette technique permet de détecter plus rapidement les récidives, celles-ci sont le plus souvent non opérables, donc non guérissables.

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Bénédicte Gatin