La Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP) regrette les avis défavorables de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant le remboursement de sept nouveaux médicaments anticancéreux ciblant des mutations rares. Il s'agit de thérapies ciblées et d'immunothérapies : selpercatinib, pralsetinib, capmatinib, larotrectinib, entrectinib, pembrolizumab et dostarlimab.
Les indications retenues pour ces nouveaux médicaments, ciblant des altérations génomiques rares et des marqueurs génétiques d’immunosensibilité, ont pourtant les faveurs de l'Agence européenne des médicaments (EMA). Alors que l'EMA et la HAS ont rendu leur expertise à partir des mêmes études, la société savante déplore « une impossibilité pour les patients français d’accéder à ces traitements innovants » et souligne le « décalage grandissant » avec les autorisations européennes.
Selon la SFMPP, la HAS justifie ces avis de « services médicaux rendus insuffisants » (SMR) notamment par l'absence de données de phase 3 ou d'essais comparatifs pour ces thérapies innovantes.
« Cependant, les études en rapport avec des mutations rares ne peuvent être réalisées sur de grands nombres de patients (du fait précisément de leur rareté), raison pour laquelle nous disposons aujourd’hui uniquement d’essais de phase 2, ou non comparatifs », explique la SFMPP.
Des taux de réponse importants
Une étude parue dans le « Journal of Clinical Oncology » a montré un taux de réponse de 84 % avec la thérapie ciblée selpercatinib dans le cancer du poumon avec fusion du gène RET. « Un essai dit comparatif ou randomisé ne serait même pas éthique dans ces conditions, estime la SFMPP. En France, les patients qui pourraient en bénéficier, ne le peuvent pas. » Le capmatinib a également reçu un avis défavorable de la HAS, malgré des taux de réponse importants dans les cancers du poumon présentant une mutation de l’exon 14 du gène MET.
Ces deux médicaments, tout comme le pralsetinib, un autre anti-RET, sont approuvés par les agences européenne et américaine du médicament. C'est le cas aussi pour deux médicaments ciblant la mutation du gène NTRK, le larotrectinib et l’entrectinib, pour leur utilisation de façon agnostique. « Un avis favorable dans les sarcomes pédiatriques a toutefois été rendu pour le larotrectinib », précise la SFMPP.
Une perte de chance
Du côté de l’immunothérapie, « c'est le caractère agnostique des marqueurs de sensibilité qui n’est pas reconnu, c’est-à-dire le fait que la présence du marqueur "MSI" (instabilité des microsatellites, NDLR) est prédictive de la réponse à l’immunothérapie quel que soit l’organe dans lequel il est retrouvé, poursuit la société savante. C’est pourtant le cas aux États-Unis depuis 2017 et pour cinq organes en Europe depuis 2022. »
D'après la SFMPP, les taux de réponses observées sont près de 50 % dans le cancer de l’endomètre présentant un phénotype MSI, mais l’immunothérapie n’est pas disponible en France dans cette indication. Deux médicaments, le pembrolizumab et le dostarlimab, ont reçu un avis défavorable de la HAS, malgré l'avis positif de l'EMA.
La SFMPP déplore que les avis défavorables répétés de la HAS concernant ces anticancéreux « conduisent à des refus de prise en charge de ces médicaments » et estiment qu'ils « posent la question de perte de chance pour les patients français ».
Les médecins face à des difficultés à appliquer les recommandations
La HAS avait pourtant annoncé lors du 8e congrès de la SFMPP qu'elle allait actualiser les critères d’évaluation du service médical rendu, reconnaissant que les études de phase 3 ou comparatives ne sont plus adaptées pour les mutations rares, rapporte la SFMPP.
Alors que 28 % des autorisations européennes du médicament en oncologie ne sont pas issues d’études de phase 3 et 23 % n’ont pas de bras comparatifs, selon une étude parue dans « Cancers », le SFMPP s'étonne de « cette exception française », qui « nous place aujourd’hui en discordance avec les utilisations du médicament européenne, américaine, et de nos pays frontaliers… ». Avec pour conséquence, des médecins qui font face à des difficultés à appliquer les recommandations thérapeutiques issues des référentiels internationaux, notamment européens.
« À l’heure de la médecine de précision, il est temps que notre système d’évaluation se saisisse de ce changement de paradigme pour permettre aux patients de bénéficier de ces innovations ciblant les mutations rares ou marqueurs agnostiques », plaide la SFMPP, considérant qu'il est urgent de donner accès aux patients français à ces innovations. Pour les évaluer, la société appelle à prendre en compte le taux de réponse, l’intensité de la réponse ainsi que la durée de la réponse.
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