Selon une étude réalisée par la Dr Cécile Bour (1), radiologue et présidente de l’association Cancer Rose, le nombre de mastectomies totales (estimé à partir du PMSI) serait passé de 17 403 en 2000 à 19 997 en 2016 (p<0,0002). Si en conclusion l’auteur pose l’éventualité de surdiagnostics dus au dépistage organisé (DO) instauré en 2004, le Dr Bruno Cutuli, président de la Société française de sénologie et pathologie mammaire (SFSPM), oppose à ces allégations que « le taux de mastectomie reste constant, entre 25 et 27 %, et incompressible. En effet, il faut tenir compte des formes avancées qui ne rentrent pas dans le dépistage, des tumeurs multifocales ou présentes dans des seins de très petite taille, pour lesquelles un traitement conservateur n’est pas faisable. De plus, il existe 2 à 3 % de mastectomies pour récidives, indifféremment comptabilisées dans l’étude. La préférence des patientes, qui peuvent avoir des facteurs de risque génétiques, entre également en compte ». En somme, le taux de mastectomies ne semble pas être un bon critère pour évaluer l’impact du DO.
D’autre part, le Pr Philippe Autier a défendu la thèse, au terme d’une présentation étayée (2), d’un impact du DO sur la diminution de la mortalité par cancer du sein « marginal et peu perceptible au niveau des populations ». Il pointe également un surdiagnostic de l’ordre de 3/10 à 5/10 cancers in situ ou invasif détectés par la mammographie. Il dresse ainsi un parallèle avec les programmes de dépistage des neuroblastomes progressivement interrompus dans les pays européens au début des années 1990. « La comparaison avec le neuroblastome est complètement inappropriée. Tumeur très agressive du petit enfant, le neuroblastome est rare (150 cas/an) avec 50 % de métastases d’emblée. Ceci est sans rapport avec l’histoire clinique du cancer du sein », s’insurge le Dr Cutuli.
Trois études internationales favorables au dépistage
Trois grandes études montrant l’intérêt du DO sont sorties cette année. La première, publiée dans le British Journal of Cancer (3), est issue du programme de dépistage de l’Angleterre et du Pays de Galles. Sur près d’un million de femmes incluses entre 49 et 64 ans, les résultats confirment une réduction de la mortalité de 21 % sur la période 1991-2005 (p < 0,001). La seconde étude, néozélandaise, (4) retrouve une diminution de la mortalité de 29 % quand la participation au DO est de 64 % (2001-2011) et de 34 % lorsque la participation atteint 71 % (2012-2013). « Pour évaluer correctement les données françaises, il faudrait une participation plus importante qu’actuellement, de l’ordre de 65 à 70 %, et un suivi à très long terme. Les récidives survenant entre 5 et 10 ans après le cancer initial, il faut donc 15 à 20 ans pour réaliser une évaluation fiable et estimer l’impact sur la mortalité », commente le Dr Cutuli.
Enfin, le troisième essai (5) a inclus 400 000 femmes italiennes et montré une diminution de 39 % des cancers ≥T2 (de plus de 2 cm) et de 19 % des formes avec envahissement ganglionnaire axillaire. « Cela correspond à ce qui avait été démontré dans les observatoires français (6). Une réduction de l’envahissement ganglionnaire de 44 % à 32 % avait été mise en évidence par deux observatoires de 2001 et 2008. Cela reste le paramètre pronostic le plus important ».
Sur ou sous diagnostic ?
« Le surdiagnostic représenterait 10 à 15 % maximum des cas », affirme le Dr Cutuli. En améliorant la formation des radiologues et la technicité des appareils de mammographie, le programme de DO aurait même tendance à limiter les faux-positifs. À l’avenir, la tomosynthèse, de meilleure définition que la mammographie, pourrait encore en réduire le nombre. Bien adaptée au dépistage, cette technique est actuellement en cours d’homologation. De même, le matériel de biopsie est de plus en plus performant et permet aujourd’hui des diagnostics très précis.
Par ailleurs, on observe actuellement 10 à 15 % de cancers in situ de bas grade, mais les lésions de bas grade sont souvent mélangées dans la tumeur à des lésions de grade intermédiaire, voire de haut grade. « Cette maladie étant très hétérogène, il faut donc faire très attention au risque de sous-diagnostic. Il y a notamment une sous-estimation de la gravité des récidives », met en garde le Dr Cutuli. « Les cancers in situ sont dans plus de 50 % des cas précurseurs de cancers invasifs. Quand un cancer du sein invasif est détecté, il présente très souvent une composante in situ à partir de laquelle le cancer du sein s’est développé. La détection précoce des cancers in situ permet donc d’empêcher l’éclosion de nombreux cancers invasifs. Enfin, deux études américaines et européennes ont retrouvé 12 à 15 % de mortalité à long terme après récidive invasive suite à un cancer in situ qui initialement devrait guérir à plus de 95 % », ajoute le Dr Cutuli.
Vers un dépistage stratifié en fonction des facteurs de risque
Une voie d’amélioration du DO actuel pourrait passer par un dépistage adapté et « stratifié », basé sur certains facteurs de risques non pris en compte jusqu’à présent. « Il s’agit des antécédents familiaux ou de biopsie avec lésion bénigne ou semi-bénigne (hyperplasie canalaire ou lobulaire atypique, signes d’une certaine prédisposition à une possible transformation tumorale à long terme). Reflet de l’imprégnation oestrogénique, la densité du sein est également importante. Plus le sein est dense et plus le risque augmente, jusqu’à 2 à 3 fois par rapport à la population normale ». D’autre part, des facteurs génétiques sont retrouvés dans 8 à 10 % des cas : présence de gènes BRCA1, BRCA2 ou PALB2. Certains autres facteurs de cette maladie multifactorielle sont moins connus : grande taille, consommation d’alcool, obésité, alimentation hypercalorique… « Au Japon où l’alimentation est moins riche et l’exercice physique important, on dénombre 4 à 5 fois moins de cancers du sein qu’aux États-Unis », souligne le Dr Cutuli.
Une grande étude multicentrique (coordonnée par le Dr Delaloge à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif), actuellement en cours de validation par la CNIL, devrait démarrer en 2018 sur 85 000 patientes en Europe. L’objectif est d’évaluer un dépistage adapté permettant de classer les patientes en 4 niveaux : très bas risque, risque moyen, haut risque et très haut risque. Les rythmes de surveillance sont alors plus ou moins intensifs, en fonction du score de risque : mammographies tous les 3 ou 4 ans pour les très bas risques jusqu’à tous les ans, avec une IRM, en cas de haut risque. « Même s’il nécessite une mise en place complexe ainsi qu’une bonne analyse des facteurs de risque et des antécédents, ce dépistage stratifié pourrait bien représenter l’avenir », projette le Dr Cutuli.
D’après un entretien avec le Dr Bruno Cutuli, président de la Société française de sénologie et de pathologie mammaire (SFSPM)
(1) Robert Vincent, Doubovetzky Jean, Lexa Annette,et al. Diminution des mastectomies totales pour cancer du sein grâce au dépistage organisé : mythe ou réalité ? poster, journées SFSPM 2017
(2) Autier Philippe. Le dépistage organisé a diminué la mortalité par cancer du sein, présentation orale. Journées SFSPM 2017
(3)Johns LE. British Journal of Cancer 2017;116:246-52
(4) Morrell S. British Journal of Cancer 2017;116: 828-39
(5) Puliti D. European Journal of Cancer;2017;75:109-16
(6) Cutuli B. Cancer Radiothérapie 2015;19:295-302
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