Par le Dr Yann Neuzillet*
FORCE EST de constater que la détermination du statut gonadique ne fait pas partie des habitudes cliniques de l’urologue dans sa prise en charge des patients atteints de cancer de la prostate. Cette évaluation peut par ailleurs sembler compliquée quand il faut décider des différents dosages de testostérone sérique à demander.
Les choses sont toutefois moins complexes qu’elles ne paraissent. En l’absence de condition pouvant modifier le taux de sex hormone-binding globulin ou SHBG (hyperthyroïdie, maigreur ou, au contraire, obésité, stéatose hépatique, insulinorésistance), le dosage de la testostéronémie totale, à jeun, entre 7 heures et 10 heures le matin, permet un dépistage de l’hypo/hypergonadisme. La testostéronémie biodisponible est, elle, plus représentative de l’imprégnation androgénique des tissus cibles, mais nécessite de faire appel à un laboratoire de référence qui, préférentiellement, réalisera, à partir du même prélèvement sanguin, à la fois le dosage de la testostérone totale et celui de la testostérone biodisponible.
Mais quand bien même il est possible d’évaluer le statut gonadique des patients, il n’est utile de le faire que si cela modifie la prise en charge du cancer de la prostate. Dès lors, quelles conséquences tirer des résultats de ces dosages ?
Pour l’heure, les indications reconnues du dosage de la testostéronémie au cours du cancer de la prostate concernent les patients sous hormonothérapie dans le but de confirmer l’hormonorésistance (la définition du cancer de la prostate hormonorésistant inclut une testostéronémie totale ‹ 0,5 ng/ml) et d’évaluer le risque de décès spécifique lié au cancer (le danger d’une castration insuffisante dans les six premiers mois de traitement est démontré, mais la valeur seuil de testostéronémie « trop élevée » n’est pas déterminée). N’existe-t-il pas d’autre intérêt à doser la testostérone ?
Pour le dépistage du cancer de la prostate, l’intérêt du dosage de la testostérone est peu probant. En dépit des nombreuses études épidémiologiques et revues qui se sont attelées à déterminer la relation entre la testostéronémie et le risque de cancer de la prostate, la relation entre la testostéronémie et l’incidence du cancer de la prostate reste obscure. La dernière méta-analyse publiée en 2008 par le Endogenous Hormones and Prostate Cancer Collaborative Group regroupait 18 études prospectives incluant au total 3 886 hommes ayant un cancer de la prostate et 6 438 témoins. Aucune corrélation entre les concentrations plasmatiques d’androgènes et le risque de cancer de la prostate n’a été trouvée. En complément du dosage du PSA, celui de la testostéronémie pourrait éventuellement permettre de sélectionner les patients à qui proposer une ponction-biopsie prostatique dans le cadre du dépistage individuel du cancer de la prostate. Cependant aucune décision de biopsie ne peut être actuellement prise d’après le résultat d’une quelconque formule mathématique intégrant le PSA et la testostéronémie.
En revanche, une fois le diagnostic de cancer établi, les publications s’accordent sur le fait que l’hypogonadisme est associé à un risque plus élevé de cancer de la prostate de haut grade et de stade avancé. Le dosage de la testostéronémie discrimine les cancers agressifs de ceux plus indolents et pourrait avoir un intérêt pour guider les choix thérapeutiques, notamment pour exclure les patients hypogonadiques des protocoles de surveillance active.
Un facteur de risque de récidive biologique.
Conséquence directe de l’agressivité tumorale accrue, l’hypogonadisme est également un facteur de risque de récidive biologique. L’étude de Yamamoto publiée en 2007 a même démontré que ce risque était statistiquement indépendant du stade et du score de Gleason déterminés sur la pièce de prostatectomie, de la valeur du PSA, et de la présence d’une marge positive. Le dosage de la testostéronémie a donc là aussi un intérêt pour l’information du patient et, possiblement, l’adaptation de la surveillance.
Par ailleurs, la littérature scientifique cardiologique a clairement démontré que la testostérone est bienfaitrice, diminuant l’obésité, les anomalies lipidiques et glucidiques et, au final, la mortalité cardio-vasculaire. Les patients hypogonadiques, et a fortiori ceux dont le cancer de la prostate nécessite un blocage androgénique, ont plus de risque que les patients eugonadiques de décéder de pathologies cardio-vasculaires.
Après traitement local du cancer de la prostate, la diminution de la testostéronémie informe donc sur les risques de récidive du cancer et de morbimortalité cardio-vasculaire. Cependant, aucune mesure correctrice pharmacologique n’est actuellement envisageable du fait que l’antécédent de cancer de la prostate est mentionné comme contre-indiquant la prescription de testostérone. En revanche, des conseils hygiénodiététiques (suppression du tabagisme, vingt minutes d’activité physique quotidienne, normalisation du poids, alimentation équilibrée) pourront être particulièrement recommandés.
*Service d’urologie et transplantation rénale, hôpital Foch, Suresnes.
Liens d’intérêts :aucun
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