Après trois années au Pittsburg Cancer Institute (États-Unis) à s’initier à la thérapie génique et à l’immunothérapie (IT) antitumorale, la Pr Laurence Zitvogel intègre l’Institut Gustave Roussy en 1995. Alliant la pratique clinique à la recherche, elle commence par travailler avec l’Institut Curie sur les exosomes de cellules dendritiques, nanoparticules capables de démultiplier le système de présentation antigénique des cellules dendritiques, et parvient à montrer leur pouvoir immunogène.
Chimio-immunothérapie, une séquence gagnante
En 2001, en collaboration avec le Pr Guido Kroemer, spécialiste de l’apoptose, la Pr Zitvogel s’intéresse alors à la cellule tumorale mourante qui, grâce à la chimiothérapie (CT), peut devenir un vaccin transformé par la cellule dendritique. « La CT peut devenir une IT déguisée. Certaines CT véhiculent l’immunogénicité du cancer et d’autres la tolérance du système immunitaire », explique Laurence Zitvogel. Selon le type de mort provoquée par la CT, immunogène ou tolérogène, la capacité de réactivation du système immunitaire est complètement différente. « L’IT marche mieux si le patient a reçu une CT immunogène auparavant, ou même après, car cela est valable dans les deux sens ». Si leur association concomitante n’est pas forcément optimale, ces deux thérapies fonctionnent de façon synergique en administration séquentielle. Une quinzaine d’années auront été nécessaires pour que cette théorie soit validée par la communauté scientifique internationale.
Le rôle prédominant du microbiote sur l’efficacité des thérapies antitumorales
Inspirée par les nombreux effets digestifs des traitements anticancéreux, la Pr Zitvogel se réoriente ensuite vers un nouveau champ de recherche encore inexploré en oncologie : le microbiote. « Suite à la présence de lymphocytes d’origine digestive observés en dehors du tube digestif lors de l’administration de cyclophosphamide, nous avons comparé l’efficacité d’un agent alkylant chez des animaux recevant, ou non, des antibiotiques à large spectre. Une diminution drastique de l’efficacité a été constatée avec les antibiotiques. Toute l’histoire a démarré ainsi… ». Les recherches chez la souris ont ensuite montré que les antibiotiques réduisaient l’efficacité des thérapies anticancéreuses (CT et IT) et agissaient sur le microenvironnement tumoral, que la flore intestinale changeait lors des traitements, et enfin, que la perméabilité du tube digestif permettait à certaines bactéries de passer dans la circulation et d’éduquer le système immunitaire contre le cancer (1,2).
Puis, en janvier 2018, les résultats publiés (3) prouvent que la prise d’antibiotiques une semaine à un mois avant le début d’une IT, anti-PD1 ou anti-PDL1, réduit drastiquement la capacité du patient à répondre au traitement. « Les patients, répondeurs ou non, peuvent être différenciés en fonction de la composition de leur flore intestinale. Nous avons identifié une bactérie prédominante dans la flore des répondeurs : Akkermansia muciniphila ». Enfin, différentes flores intestinales de patients ont été administrées en aveugle chez des animaux stérilisés (sans germes) et porteurs de tumeurs. « On s’est aperçu que les souris répondeuses au traitement antitumoral avaient reçu la flore des patients répondeurs, et inversement (souris non répondeuses avec flore de patients non répondeurs). Cela nous a bluffés ! ».
Des applications concrètes dans la pratique clinique
De ces travaux découlent plusieurs conséquences pratiques. Tout d’abord, il faut éviter les antibiotiques ou respecter un délai d’un mois avant la prise d’un traitement antitumoral, pour permettre au tube digestif de récupérer. D’autre part, des tests diagnostiquant la composition de la flore intestinale sont développés pour identifier si un patient est en eubiose ou en dysbiose intestinale. Trois applications thérapeutiques sont également possibles : le transfert de flores fécales complètes de sujets répondeurs (ou sains) vers les non répondeurs, la conception d’une pilule lyophilisée encapsulée de flore complète (ou minimaliste) de certaines bactéries, et enfin, la modification de la nutrition et du style de vie. « Nous aurons besoin de jouer sur ces trois aspects pour prouver la possibilité d’agir sur la composition et l’intégrité de la barrière intestinale afin d’améliorer le succès thérapeutique ». Quant aux interventions nutritionnelles, elles seraient plus efficaces sur un microbiote adapté. « Il existe des caractéristiques du microbiote intrinsèques à chaque personne. Il ne sera pas facile de coloniser et de changer le microbiote d’un patient receveur. Nous allons devoir apprendre les codes de la colonisation », reconnaît la Pr Zitvogel. Néanmoins, il est possible aujourd’hui d’influencer l’efficacité du traitement par une intervention très transitoire sur le microbiote, en administrant la pilule de flore adéquate au bon moment.
Vers de nouvelles découvertes grâce au prix Leopold Griffuel
La prochaine étape des recherches, qui sera en partie financée par les 150 000 euros alloués grâce au prix Leopold Griffuel, portera sur la phagothérapie et la connaissance des propriétés anticancéreuses des phages. « Les phages ayant la capacité de tuer certaines bactéries de façon sélective, l’objectif est d’obtenir des phages sélectifs des bactéries à éliminer. Nous travaillons sur un phage de bactérie immunogène auquel nous avons découvert des vertus très intéressantes. Actuellement soumise à publication, cette découverte nous émeut tout particulièrement » ...
D’après un entretien avec la Pr Laurence Zitvogel, oncologue et directrice du laboratoire « Immunologie des tumeurs et Immunothérapie » de l’INSERM U1015 à Gustave Roussy, professeure d’immunologie à l’université Paris XI-Paris Saclay
(1) Viaud S. et al,The intestinal microbiota modulates the anticancer immune effects of cyclophosphamide, Science. 2013 Nov 22;342(6161):971-6.
(2) Vétizou M. et al, Anticancer immunotherapy by CTLA-4 blockade relies on the gut microbiota. Science. 2015 Nov 27;350(6264):1079-84.
(3) Routy B. et al, Gut microbiome influences efficacy of PD-1-based immunotherapy against epithelial tumors, Science. 2018 Jan 5;359(6371):91-97.
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