« La majorité des cancers ORL (90 %) sont des carcinomes épidermoïdes largement dus au tabac et à l’alcool, alors que les tumeurs de l’oropharynx sont de plus en plus liées à une infection à papillomavirus (30 à 40 % des cas en Europe) », souligne le Dr Jérôme Fayette, Centre Léon Bérard (Lyon). Les formes localement avancées sont toujours très majoritaires (75 % au diagnostic). Quant au pronostic, il n'a guère progressé depuis l'introduction du cisplatine il y a 20 ans et reste péjoratif. « Après le succès de l'immunothérapie dans les cancers métastatiques, on a pensé qu'elle révolutionnerait à son tour le pronostic des formes localement avancées. Hélas, les deux premiers essais présentés à l'ESMO ont douché cet espoir. Avant de jeter le bébé avec l'eau du bain, il faut attendre les résultats des nombreux autres essais en cours. Mais l'enthousiasme est sacrément retombé, résume le Dr Fayette. Hasard du calendrier, au même moment, une nouvelle classe a créé la surprise. Un antagoniste d'inhibiteur d'apoptose, pro-apoptotique, s'est révélé extrêmement actif dans un essai précoce de phase II. Une étude de phase III a été immédiatement lancée. On attend avec impatiences ses résultats mais cette nouvelle classe va très probablement ouvrir de nouvelles perspectives ».
Le succès de l'immunothérapie en métastatique
« En 2019 à l'ASCO, une vaste étude, KEYNOTE-048, a consacré l'intérêt de l'immunothérapie en 1e ligne des cancers métastatiques d'emblée ou en récidive », résume le Dr Fayette (1). Sur près de 900 patients, l'étude comparait trois bras de traitement : pembrolizumab en monothérapie, pembrolizumab-chimiothérapie (cisplatine-5FU) et le gold standard cétuximab-chimiothérapie (EXTREME) sur 24 mois de traitement et 6 cycles de chimiothérapie. Par rapport au standard, l'association pembrolizumab-chimiothérapie améliore la survie globale (SG) indépendamment du score CPS, avec un bénéfice majoré dans les CPS élevés (14,7 vs 11 mois pour CPS≥ 20 ; 13,6 vs 10,4 mois pour CPS≥ 1). En revanche, en monothérapie le bénéfice du pembrolizumab est restreint aux sujets CPS ≥ 20 et ≥ 1. Il n’est néanmoins pas inférieur dans les CPS < 1. « Dans la foulée, le pembrolizumab et le pembrolizumab-platine-5-FU sont devenus les nouveaux standards de traitement. Seul bémol, actuellement en France le pembrolizumab n'est toujours pas disponible dans cette indication. Les patients ne pourront probablement pas en bénéficier avant le printemps prochain », déplore le Dr Fayette. Depuis ce début novembre, le pembrolizumab est disponible en France, en monothérapie ou en association, dans le carcinome épidermoïde en première ligne métastatique ou récidivant non résécable, avec expression de PD-L1 CPS ≥ 1.
La douche froide dans les formes localement avancées
« Fort du succès en métastatique, plusieurs essais d'immunothérapie de phase III ont été lancés dans les formes localement avancées. Les premiers résultats, de deux essais présentés à l'ESMO 2020, sont très décevants. C'est la douche froide. On n'a aucun bénéfice en survie. L'immunothérapie concomitante à la radiothérapie n'améliore pas le pronostic, tout juste réduit-elle la toxicité comparativement au cétuximab », explique le Dr Fayette.
L'essai JAVELIN, en double aveugle versus placebo, a testé l'adjonction de l'anti PD-L1 avélumab au traitement standard radiothérapie-cisplatine à haute dose, sur près de 700 patients (2). Si la tolérance est comparable, il n'y a pas de gain ni en SG, ni en survie sans progression [SSP] (respectivement RR = 1,2 et RR = 1,3). Au contraire, une tendance à plus d'efficacité est observée sans avélumab.
L'essai français GORTEC 2015-01 ou PembroRAD a évalué le pembrolizumab en concomitant avec la radiothérapie et sans adjuvant dans les cancers localement avancés ne pouvant bénéficier du cisplatine (3). Au total, 130 patients ont été randomisés en deux bras : pembrolizumab-radiothérapie versus cétuximab-radiothérapie. L'étude n'atteint pas le critère d'évaluation principal (contrôle régional à 15 mois) et ne montre pas de différence en SSP ou SG. Les deux schémas semblent faire jeu égal en termes d'efficacité, malgré une petite tendance en faveur du pembrolizumab (RR = 0,83). En revanche, on observe avec l'immunothérapie un bénéfice en termes de tolérance, notamment muqueuse et cutanée. « Chez ces patients, inéligibles au platine, on reste sur le traitement concomitant par cétuximab-radiothérapie », conclut le Dr Fayette.
La percée des anti-IAP
Une petite étude française de phase II randomisée (4), versus placebo, menée par le GORTEC, a testé une molécule inhibant les inhibiteurs d'apoptose (IAP), le Debio 1143-201 (Xevinapant). Ses résultats sont confondants. À 3 ans, l'anti-IAP associée à la radiochimiothérapie avec cisplatine haute dose, améliore significativement la SSP (RR = 0,34) et la SG, avec une réduction du risque de décès de presque 50 % (RR = 0,49) et une augmentation de 15 % en valeur absolue du nombre de survivants. « C'est une énorme avancée comme on n'en a pas eu depuis 20 à 30 ans dans les épidermoïdes localement avancés, commente le Dr Fayette. L'étude de phase 3 en cours, TrilynX, devrait venir confirmer la place de cette nouvelle classe dans la stratégie thérapeutique ».
D'après un entretien avec le Dr Jérôme Fayette, Centre Léon Bérard (Lyon)
(1) Burtnesse B et al. Lancet 2010, 394:1915-28
(2) Cohen EE et al. ESMO 2020, Abstr 910O
(3) Tao Y et al. ESMO 2020, Abstr LBA38
(4) Bouthis G et al. ESMO 2020, Abstr LBA39
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?