L’incidence du cancer du rectum, dont l’adénocarcinome du rectum est le cancer primitif de loin le plus fréquent, avoisine les 15 000 nouveaux cas par an en France (1). Si les modalités de traitement du cancer du haut rectum (>10 à 15 cm de la marge anale ou à plus de 7 cm du bord supérieur du sphincter) diffèrent peu de celles du cancer du côlon, la prise en charge des cancers du moyen et bas rectum (> 5 à 10 cm de la marge anale ou > 2 à 7 cm du bord supérieur du sphincter) est spécifique. « Dans le double objectif de préserver au maximum le rectum et l’anus tout en limitant les récidives, indique le Dr Jérôme Loriau, chef du service de chirurgie digestive (Groupe Hospitalier Paris-Saint Joseph), les traitements néoadjuvants sont utilisés dès les stades relativement limités, au contraire des protocoles appliqués dans le cancer du côlon ». Les radio et chimiothérapies tendent à mieux contrôler localement la maladie et donc à réduire à la fois le risque de récidives locales et la propagation tumorale à distance, mais permettent éventuellement de préserver davantage l’anus.
Se passer de la radiothérapie néoadjuvante grâce à la chimiothérapie
Devant une tumeur dont le stade est supérieur à T2 N0 (tumeur envahissant la musculeuse sans métastase ganglionnaire régionale), la mise en place d’un traitement néoadjuvant est discutée à des fins de régression tumorale (2). « La nouveauté est que nous avons aujourd’hui à notre disposition des chimiothérapies si efficaces qu’elles nous laissent espérer à moyen terme de se passer de la radiothérapie, poursuit Jérôme Loriau. Des études internationales sont menées comparant la radiochimiothérapie suivie de la chirurgie, la chimiothérapie suivie de la radiochimiothérapie puis de la chirurgie, la chimiothérapie intensive suivie de la chirurgie, en évitant la radiothérapie ». L’administration d’oxaliplatine en association avec le 5-fluorouracile (5-FU) et l’irinotécan, selon le protocole FOLFIRINOX modifié, permettra peut-être de se passer de la radiothérapie. Plus ambitieux encore, l’espoir ultime est d’éviter la chirurgie rectale grâce à l’efficacité de tels traitements. En France, un essai en cours (NORAD 01) étudie une séquence FOLFIRINOX intensive suivie d’une évaluation de la réponse à l’imagerie. Il comparera les résultats des patients opérés directement à ceux qui auront reçu une radiochimiothérapie avant la chirurgie. En attendant des réponses, il y a déjà eu cette année des modifications thérapeutiques importantes avec, dans le cas de tumeurs volumineuses T3T4 et/ou N+, la supériorité démontrée de l’administration de chimiothérapie puis de radiochimiothérapie avant une chirurgie d’exérèse (3).
La stratégie « Watch and wait »
Une autre question d’actualité reste en suspens : une fois le traitement néoadjuvant réalisé, comment évaluer et affirmer la disparition complète de la tumeur, épargnant potentiellement au patient une chirurgie d’exérèse ? Cette question est légitime car « dans certains cas, la radiochimiothérapie obtient une disparition complète de la maladie comme cela a été publié notamment dans des séries brésiliennes (4), souligne le Dr Loriau. Il peut demeurer une cicatrice tumorale. Cependant, aucun examen d’imagerie n’est à ce jour en mesure d’affirmer l’absence de résidu tumoral. Des patients semblent donc être opérés inutilement pour retirer une cicatrice qui peut être indemne de cellules cancéreuses ». L’approche « Watch and Wait » consiste en une surveillance des patients considérés en réponse clinique complète après chimioradiothérapie, confirmée par l’endoscopie, l’imagerie et le toucher rectal. Cette approche a été développée par le Pr Habr-Gama au Brésil et publiée dans de nombreux articles, repris dans une analyse poolée (5). Sur les 692 patients analysés, 22,4 % présentaient une réponse clinique complète. Parmi ceux surveillés, 22 % présentaient une récidive locale intervenant dans les trois ans dans 96 % des cas. Parmi les patients présentant une récidive, 88 % pouvaient avoir une chirurgie « de sauvetage » avec 93 % des résections complètes du point de vue oncologique. La survenue de métastases à distance concernait 8,2 % des patients, parmi lesquels une majorité (60 %) n’avait pas de récidive locale associée. La survie globale du groupe à trois ans s’élevait à 93,5 %. « En s’inspirant de cette stratégie « Watch and Wait », explique Jérôme Loriau, il est possible, même lorsqu’il n’existe pas de réponse clinique complète mais une très petite cicatrice sur le lit tumoral initial de réséquer uniquement la cicatrice en vue d’un examen histologique, laquelle peut s’avérer ou non un reliquat tumoral. Le résultat servirait alors de base à la décision de procéder à une exérèse rectale et/ou anale ». L’objectif de cette exérèse limitée ou de biopsies locales serait de préserver le bas rectum et d’éviter une stomie définitive lorsqu’il n’y a plus de tumeur viable au niveau microscopique.
(1) Cotte E et al. Thésaurus Cancer du rectum (SNFCP-GRECCAR) 20/03/2019
(2) Classification UICC, TNM 8
e édition 2017
(3) Conroy T et al. Journal of Clinical Oncology 2020;38:15_suppl, 4007-4007
(4) Habr-Gama A. et al. Dis Colon Rectum. 2013 Oct;56(10):1109-17.
(5) Dattani M et al. Ann surg 2018 Dec;268(6):955-67
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?