Le chimiste toxicologue André Cicolella appelle à concentrer la recherche sur les causes environnementales du cancer du sein, pour « en finir avec l'épidémie », titre de son dernier ouvrage*.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi parlez-vous d’épidémie de cancer du sein alors que Santé Publique France estime que l'incidence se stabilise depuis 2005 ?
ANDRÉ CICOLELLA : En 2013, on recense 1,8 million de femmes dans le monde touchées par le cancer du sein, et près de 500 000 décès : soit les mêmes ordres de grandeur que le VIH/SIDA. En outre, on a connu une progression mondiale rapide : entre 1990 et 2013, l'incidence a augmenté de 99 % (donc doublé) selon le Global Burden of Disease Cancer collaboration, paru dans « Jama oncology », 2015. On peut même parler de pandémie : le cancer du sein est le premier cancer chez la femme dans 161 pays (sur 184) ; il l'est devenu en France en 1960. Il est vrai qu'aujourd'hui l'incidence se stabilise en France et que la mortalité diminue. Reste à savoir pourquoi le taux de cancers du sein a doublé depuis 30 ans.
L'effet dépistage et le vieillissement n'expliquent-ils pas cette progression ?
Toujours selon le Global Burden of Disease, le vieillissement n'explique que 38 % du doublement de l'incidence. Quant au dépistage, il n'a été généralisé en France qu'en 2004, et donc ne saurait à lui seul justifier la hausse de l'incidence, qui a démarré après guerre. Le tout génétique, pas plus que le couple Tabac-alcool, n'éclaire totalement le phénomène.
Les mutations des gènes BCRA 1 et 2 ne représenteraient qu'entre 3 et 10 % des cancers. Nous avons en revanche tout un faisceau d'arguments en faveur d'un rôle prépondérant de l'environnement au sens large. Je pense par exemple à l'étude parue dans le « New England Journal of medecine » en 2000 sur les registres de jumeaux nordiques (Danemark, Finlande et Suède) qui évalue à 73 % la part liée à l'environnement. Des études sur les migrantes montrent que leur risque de développer un cancer du sein se calque sur l'environnement du pays d'accueil.
L'équipe de Barbara Cohn de Berkeley a confirmé en juin 2015 la responsabilité du DDT dans les tumeurs mammaires. Elle a ainsi trouvé qu'une contamination maternelle au moment de la gestation multipliait par 3,7 fois les risques de développer un cancer du sein à 52 ans. Ce n'est pas marginal. Cela montre qu'on peut extrapoler les résultats des expérimentations animales, sans attendre les données épidémiologiques.
Dans l'environnement, quelles sont, selon vous, les causes les plus probables aujourd'hui ?
Le DDT d'aujourd'hui serait le bisphénol A ou les phtalates. Certes, nous ne disposons pas de données épidémiologiques pour le BPA, mais plusieurs études sur la souris et le rat indiquent que le BPA induit des tumeurs mammaires aux doses correspondantes à celles où la population est exposée. Autre argument, le BPA présente des mécanismes d'action proches de ceux du distilbène, à l'origine d'un doublement du risque de cancer du sein chez les filles des mères exposées. On n'a pas tiré toutes les conséquences de cette malheureuse expérimentation grandeur nature.
Au-delà des perturbateurs endocriniens (PE) ou des pesticides, d'autres facteurs jouent sur l'apparition des cancers du sein, comme le développement des rayonnements ionisants, la sédentarité (qui pourrait jouer entre 30 et 40 %), l'alimentation, le tabac et l'alcool, mais aussi le travail de nuit classé cancérogène probable par le CIRC, le stress…
sue faire ? On ne peut pas toujours cesser de travailler la nuit ni éviter toute prise d'hormones…
La contraception, l'imagerie médicale, ou le travail de nuit peuvent faire l'objet d'une balance bénéfices/risques. Mais certaines substances chimiques pourraient faire l'objet d'une interdiction.
Plus largement, il faut mieux connaître les sources d'expositions aux PE pour agir dessus. D'où l'importance de recourir à la notion d'exposome et la pertinence d'installer une agence consacrée à la veille environnementale.
Octobre rose a le mérite d'exister, mais on reste focalisé sur l'accompagnement et le soutien sans poser la question des causes, sans faire de véritable prévention.
*Cancer du sein, en finir avec l'épidémie, éditions Les petits matins, 120 pages, 10 euros.
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