Alexia Cassar, The Tétons Tattoo Shop

« Je suis fière d’avoir rendu ces femmes à la vie »

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Publié le 20/11/2020
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Nécessitant une formation bien spécifique et un réel professionnalisme, la technique de tatouage 3D permet de reconstruire le mamelon et l’aréole des patientes suite à une chirurgie du cancer du sein. Exerçant cet art dans un lieu dédié, Alexia Cassar joue ainsi pour ces femmes un véritable rôle dans la reconstruction de l’estime de soi.

Crédit photo : DR

Comment s'est développée la technique du tatouage 3D ?  

ALEXIA CASSAR. La reconstruction du mamelon et de l’aréole par la technique du tatouage médical, ou dermopigmentation réparatrice, a été développée dans les années 1970 et utilise des pigments semi-permanents qualifiés de dispositifs médicaux. Cette technique, pratiquée en milieu médical et enseignée en quelques jours ou semaines, doit être répétée tous les deux ans et à terme peut être décevante pour le retour à l’estime de soi. Vinnie Myers utilisait le tatouage artistique traditionnel pour les vétérans mutilés après la guerre du Vietnam. Puis, dans les années 2000, le tatoueur américain change de cap. Il applique désormais aux femmes atteintes de cancer ses compétences techniques et artistiques pour créer un véritable trompe-l’œil du mamelon dit en « 3D », avec un résultat esthétique personnalisé et définitif permettant une véritable appropriation du sein reconstruit et un retour à l’estime de soi après une mastectomie. 

Quelle formation avez-vous suivie ?  

Après un master universitaire de biologie, j’ai travaillé pendant plus de 15 ans dans la recherche et le développement clinique en oncologie. Après la rémission de la leucémie de ma plus jeune fille, j’ai souhaité utiliser mes compétences artistiques et mon attrait pour la culture du tatouage pour aider les patients à se retrouver après la maladie. J’ai entamé un parcours de formation de plus de deux ans : auprès de chirurgiens plasticiens sur la reconstruction mammaire, d’un maître tatoueur pour apprendre la technique sur des peaux de tous types, puis à la dermopigmentation réparatrice. Aux États-Unis, je me suis également formée au tatouage 3D (non enseigné en Europe), puis au tatouage décoratif sur les cicatrices de mastectomie. Il m’a fallu encore une année de pratique et d’observation pour développer ma propre technique, maîtriser les virages de couleurs et les phénomènes de cicatrisation sur peaux irradiées, cicatricielles, greffées, déjà tatouées ou non. Des milliers d’heures de pratique et spécialisation m'ont permis d'exercer, depuis 2017, avec professionnalisme et respect dans un lieu dédié, confidentiel et accueillant, « The Tétons Tattoo Shop » à Marly-la-Ville et Nice (1). 

En quoi consiste exactement cette technique ?  

La base de la technique est la capacité à reproduire l’illusion du relief du mamelon, sa texture, ses petits détails et sa couleur. Ainsi, il faut maîtriser le dessin et parfaitement intégrer la variabilité des couleurs des encres dans le temps pour un résultat fidèle et définitif. On utilise du matériel et des encres de tatouage traditionnel, mais il faut adapter le choix des aiguilles, la précision et l’intensité du geste à des tissus plus fragiles que de la peau « normale » : peaux irradiées ayant parfois des zones cicatricielles ou de nécrose, prothèses ou greffes. On doit parfaitement connaître ses limites et ne pas improviser car le résultat est définitif et malheureusement irrécupérable en cas de mauvais geste. Je constate de plus en plus de dégâts causés par des autodidactes insuffisamment formés et déplore le manque d’encadrement de cette technique qui se développe partout en France de manière incontrôlée sans bonnes pratiques, ni recommandations. À ce jour, ce geste n’est pas pris en charge par la sécurité sociale au titre de l’ALD et reste à la charge des patientes. Cependant, 14 mutuelles remboursent aujourd’hui partiellement ou complètement mes tatouages du mamelon, reconnaissant leur caractère reconstructeur sur l’estime de soi. Je milite activement à la mise en place d’études à ce sujet, pour sécuriser le parcours de ces personnes après la maladie. 

Toutes les femmes opérées peuvent-elles en bénéficier ?  

Un avis médical est requis et une information complète délivrée avant le geste. Si la qualité de la peau le permet et sans contre-indication médicale, ce geste est possible 12 mois après la dernière intervention chirurgicale (six mois après un lipofilling), 12 mois après la radiothérapie et 6 à 12 mois après la chimiothérapie. L’hormonothérapie ne pose aucun souci. Par contre, je ne tatoue pas les personnes sous traitement ciblé ou chimiothérapie orale, par manque d’étude dans ces populations car le risque infectieux ou les problèmes de cicatrisation existent. Une peau trop fine et irradiée, ou une cicatrisation incomplète, peuvent empêcher la réalisation de ce geste. Il peut alors être remplacé par des tatouages temporaires ou des mamelons en silicone, le temps d’améliorer la situation. 

Quels sont les retours suite aux tatouages ?

Je reçois des témoignages très touchants tous les jours. Les femmes me font part des changements dans leurs vies dus à leur tatouage. Elles parlent de « renaissance » et de nouvelle page qui se tourne… Elles continuent à me suivre sur les réseaux et je suis fière de les avoir rendues à la vie. Les savoir épanouies me satisfait au plus haut point. Nos vies sont liées pour toujours. Les voir retomber amoureuses, retrouver du travail, changer de coiffure et de look, c’est merveilleux ! 

(1) www.thetétonstattooshop.com ; https://www.instagram.com/_alx_c_/ ; https://www.facebook.com/tatouage3Dcancerdusein/

Réponses rédigées par Alexia Cassar, questions de Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr