« Chaque être humain a environ 3.1013 cellules et, dans chaque noyau cellulaire, 100 000 lésions de l’ADN se produisent par jour », explique le Pr Jackson, professeur de biologie à l’université de Cambridge (Royaume-Uni) et directeur des laboratoires Cancer Research UK au Gurdon Institute, qui a consacré sa carrière aux mécanismes de réparation des lésions de l’ADN.
De la protéine KU à KuDOS
« Mes recherches ont commencé sur la protéine KU. J’ai découvert qu’elle était activée par les cassures de l’ADN et pouvait en reconnaître les lésions pour les réparer. J'ai alors orienté mes travaux vers la réparation de l’ADN », révèle le Pr Jackson, qui s’est plus particulièrement intéressé aux molécules réparant les cassures doubles brins. « D’autre part, nous avons observé que certaines cellules cancéreuses étaient défectueuses au niveau du processus de réparation de l’ADN. C’est intéressant car la clé du succès pour un traitement anticancéreux est d’identifier la différence entre les cellules tumorales et normales, pour détruire les unes et pas les autres ». Au cours de ses travaux, le Pr Jackson a ainsi avancé l’idée novatrice que les cellules tumorales, en raison de leurs mutations et des carences de certains systèmes de réparation de l’ADN, seraient plus dépendantes que les cellules saines vis-à-vis de certaines autres voies de réparation de l’ADN. Il a ainsi émis l’hypothèse qu’en inhibant spécifiquement ces voies, il serait possible de tuer sélectivement les cellules tumorales : un mécanisme nommé « létalité synthétique ».
En 1997, le Pr Jackson créé la société KuDOS, qui pendant 5 ans a développé plusieurs enzymes inhibant la réparation de l’ADN.
Vers le premier inhibiteur de PARP
« Nous avons obtenu des résultats très prometteurs entre 2002 et 2005 avec une enzyme inhibant les récepteurs PARP ». Découverte en France par Pierre Chambon en 1962, la Poly-ADP-Ribose-Polymérase (PARP) est une enzyme impliquée dans la réparation de l’ADN, qui reconnaît les cassures simple brin. « Les inhibiteurs de PARP, molécules inhibant l’enzyme PARP, sont très toxiques pour les cellules avec un déficit en gène codant pour la protéine BRCA1/BRCA2, mais pas pour les cellules normales ». En effet, quand un cancer se déclare chez les patients porteurs du gène BRCA, les cellules cancéreuses perdent la fonction BRCA alors que les cellules normales conservent une fonction BRCA résiduelle.
Aujourd’hui, le laboratoire Astra Zeneca a acquis KuDOS et possède quatre molécules enzymatiques interagissant dans le processus de réparation de l’ADN. La plus avancée est l’olaparib, enregistré dans les cancers de l’ovaire et du sein avec mutation BRCA. « C’est la première thérapie anticancéreuse à tirer avantage des faiblesses du système de réparation de l’ADN », s’enthousiasme le Pr Jackson. Aujourd’hui, 25 000 patients dans le monde ont déjà reçu l’olaparib et des données suggèrent que d’autres types de cancers pourraient en bénéficier (cancer du pancréas, de la prostate, …). Un autre inhibiteur de PARP montre également une activité intéressante dans les cancers sporadiques, qui sont nombreux à perdre les gènes BRCA1/BRCA2 et leurs fonctions de réparation de l’ADN.
De nombreux autres développements en cours
D’autres enzymes régulant la réparation de l’ADN, trois kinases nommées « ATM, ATR et DNA-PK », ont aussi été découvertes et des essais sont en cours avec leurs inhibiteurs. Ainsi, une course internationale pour le développement d’une nouvelle génération d’inhibiteurs d’enzymes réparatrices de l’ADN est engagée. « Le développement de la prochaine génération de thérapies anticancéreuses devra associer la recherche fondamentale et clinique, mais aussi les laboratoires pharmaceutiques et les sociétés high-tech », souligne le Pr Jackson.
« Il est aussi intéressant de combiner les inhibiteurs de PARP avec la radiothérapie, la chimiothérapie ou même l’immunothérapie, avec lesquelles il existe des interactions ». En effet, la radiothérapie et la chimiothérapie sont à l’origine de lésions de l’ADN pour détruire les cellules cancéreuses, d’où une potentielle synergie avec les inhibiteurs de PARP. D’autre part, un défaut de réparation de l’ADN provoque des mutations cellulaires à l’origine de néoantigènes, qui potentialisent l’immunothérapie.
À la recherche des mécanismes de résistance
« Mon laboratoire cherche maintenant à comprendre comment le cancer induit des résistances chez des patients initialement répondeurs. Nous avons découvert que la résistance à une molécule peut créer une sensibilité à une autre ». En effet, en cas de résistance aux inhibiteurs de PARP, les cellules cancéreuses développent différents mécanismes de réparation de l’ADN, exposant potentiellement la cellule à interagir avec d’autres molécules. « La connaissance détaillée de ces processus permettra de trouver un traitement optimal « sur mesure », en fonction du profil moléculaire ».
Les 150 000 euros décernés avec le prix Léopold Griffuel de la Fondation ARC seront donc dédiés aux recherches sur la compréhension des mécanismes de résistance, en ayant notamment recours à la technologie CRISPR-Cas9, outil moléculaire permettant de couper l’ADN dans des zones très précises. « Mon laboratoire est concentré sur la recherche fondamentale mais mon souhait est d’identifier une nouvelle opportunité capable d’apporter un bénéfice aux patients », confie le Pr Jackson.
D’après un entretien le 10 avril avec le Pr Stephen Philip Jackson, professeur de biologie à l’université de Cambridge (Royaume-Uni) et directeur des laboratoires Cancer Research UK au Gurdon Institute
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