Le carcinome épidermoïde de l’anus est une pathologie rare qui représente 1,5 % des cancers digestifs (1). Cependant, son incidence a été multipliée par quatre au cours des 30 dernières années (de 1,5 à 6 cas pour 100 000 habitants), ce qui en fait un sujet préoccupant (2). Il est quasiment toujours lié aux Human Papilloma Virus (HPV) oncogènes (principalement HPV 16 et 18) et survient selon un modèle de carcinogénèse similaire à celui du cancer du col de l’utérus (3). Les facteurs de risque sont notamment l’infection par le VIH, les rapports sexuels anaux passifs, un nombre élevé de partenaires, un antécédent d’IST, une immuno-suppression prolongée et le tabagisme (4). Les populations à risque sont les femmes (notamment en cas d’antécédent de lésion intra-épithéliale ou de cancer du col de l’utérus) ainsi que les hommes infectés par le VIH ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH. L’âge moyen de survenue du cancer est d’une soixantaine d’années chez les femmes et d’une quarantaine d’années chez les hommes (5).
Il existe plus de 100 génotypes humains différents d’HPV, classés en oncogènes dits à « haut risque » (16 et 18 notamment), à « risque intermédiaire » et à « bas risque ». Ils sont très contagieux et transmis sexuellement au sens large (un simple contact, sans forcément de pénétration, suffit pour être contaminé). C’est l’infection sexuelle la plus transmise au monde et 80 % des personnes seraient infectées au cours de la première année de leurs rapports sexuels. L’infection virale est le plus souvent transitoire, le virus étant éliminé par l’immunité naturelle dans environ 80 % des cas. Cependant, le virus peut persister dans les noyaux cellulaires et entraîner, en plusieurs années, des modifications morphologiques. Au niveau anal, ces lésions de néoplasie intra-épithéliales (AIN) dites « précancéreuses » sont définies comme de « bas grade » (AIN 1) lorsque les atypies cellulaires touchent un tiers inférieur de l’épithélium basal et de « haut grade » (AIN 2 et 3) lorsque les atypies cellulaires touchent les deux tiers ou la totalité de l’épithélium basal (6). In fine, certaines de ces lésions peuvent évoluer vers un carcinome épidermoïde invasif de l’anus.
Dépister les populations à risque
Aujourd’hui, la prévention du cancer de l’anus est possible. La prévention secondaire repose sur le dépistage des lésions AIN dans les populations à risque. En France, on recommande actuellement de proposer un examen proctologique complet par un opérateur expérimenté avec inspection de la marge anale, toucher rectal et anuscopie aux patients infectés par VIH, à plus forte raison les HSH et les femmes ayant un antécédent de lésion intra-épithéliale du col de l’utérus (7). Certains pensent qu’il faudrait également dépister les patients ayant un antécédent de cancer du col de l’utérus ou un état d’immuno-suppresion chronique, notamment en cas de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (8). Cependant, il n’y a aujourd’hui pas de recommandation en France pour la population non VIH.
Une couverture vaccinale insuffisante
La prévention primaire par la vaccination est une source d’espoir séduisante. En effet, cette dernière peut prévenir les infections à HPV oncogènes et ainsi éviter la survenue des AIN. La littérature plaide pour l’efficacité et la bonne tolérance de cette vaccination, aussi bien chez les filles que chez les garçons (9,10). Des pays comme l’Australie, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, la Norvège, l’Autriche ou le Canada ont déjà recommandé une vaccination universelle (filles et garçons). Une étude récente leur a donné raison en montrant que le cancer du col utérin pourrait disparaître en Australie dans une vingtaine d’années si le taux de couverture vaccinale anti-HPV reste élevé (>70 %) (11). En France, cette vaccination est recommandée chez les filles âgées de 9 à 13 ans (avec rattrapage chez les filles de 14 à 19 ans), chez les HSH âgés de 9 à 26 ans (dans les CEGIDD et centre de vaccination uniquement) et chez les patients immunodéprimés âgés de 11 à 19 ans. Cependant, la couverture vaccinale reste insuffisante car elle ne dépasse pas 15 à 20 % de la population concernée pour des raisons diverses (stigmatisation et sexualisation du vaccin, associations anti-vaccin, fake news…). Cette prévention primaire est le grand espoir de demain mais, en France, elle devra donc passer par une implication marquée des soignants afin d’obtenir une adhésion plus large de la population, voire une extension de la vaccination aux garçons afin de la rendre universelle et obtenir une immunité de masse.
* Service de proctologie médico-chirurgicale **Service d’oncologie
Groupe Hospitalier Paris Saint Joseph
1. Longacre TA et al, Diagnostic problems in anal pathology. Anat Pathol 2008 ;15(5): 263–78.
2. Abramowitz L et al, Epidermoid anal cancer prognosis comparison among HIV+ and HIV- patients. Alim Pharmacol Ther. 2009 ;30(4): 414-21.
3. Palefsky J, Human papillomavirus and anal neoplasia. Curr HIV/AIDS Rep 2008 ;5(2): 78-85.
4. Renehan AG et al, Anal cancer : different epidemiological and clinical definitions. Int J Epidemiol 2017 ;46(6): 2091-2092.
5. Abramowitz L et al, Human papillomavirus genotype distribution in anal cancer in France : the EDiTH V study. Int J cancer 2011 ;129(2): 433-9.
6. Monsonego J, Anal cancer and human papillomaviruses : a perspective based on the cervical cancer model. Gynecol Obstet Fertil 2010 ;38(4): 250-4.
7. https://cns.sante.fr/actualites/prise-en-charge-du-vih-recommandations-…
8. Vuitton L et al, High Prevalence of Anal Canal High-Risk Human Papillomavirus Infection in Patients With Crohn's Disease. Clin Gastroenterol Hepatol 2018 ;16: 1768-76.
9. Giuliano AR et al, Efficacy of quadrivalent HPV vaccine against HPV infection and disease in males. N Engl J Med 2011 ;364(5): 401-411
10. Palefsky JM et al, HPV vaccine against anal HPV infection and anal intraepithelial neoplasia. N Engl J Med 2011;365(17):1576-85.
11. Hall MT et al, The projected timeframe until cervical cancer elimination in Australia: a modelling study. Lancet Public Health 2018.
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