L’association entre cannabis et cancers, notamment ceux de la tête et du cou, est longtemps restée délicate à examiner, en raison de la difficulté à recueillir les données déclaratives d’exposition et à la quantifier, les lois restreignant l’usage du cannabis, et du manque de marqueurs biologiques, sans compter le manque de fonds dédiés, qui a limité les études à de petites cohortes.
Résultat, les données étaient contradictoires. Mais, aujourd’hui, l’analyse d’une large cohorte de personnes souffrant de troubles liés au cannabis en vie réelle vient éclairer le débat (1). Elle met en effet en évidence un surrisque de l’ordre du triple de cancers de la tête et du cou lors de cet usage intense du cannabis (pour lequel des troubles associés se sont développés). Soit un surrisque du même ordre que celui lié à d’autres carcinogènes puissants, tel que l’alcool et ce, après ajustement en particulier sur la consommation de tabac et d’alcool.
Aux États-Unis, le taux de consommateurs de cannabis est l’un des plus importants du monde, avec près de 30 % des 35-50 ans en 2022. Dans le même temps la concentration en cannabinoïdes dans le cannabis récréatif a plus que quintuplé.
D’où la question : après le tabac, dont la toxicité a été longtemps minimisée, le cannabis devrait-il voir sa toxicité révisée, comme le suggère l’éditorial accompagnant ce travail, qui dénonce un air de « déjà-vu » ? (2)
Une vaste cohorte de sujets souffrant de troubles liés au cannabis
Partant de 20 ans de données (2004-2024) recueillies par 64 organisations de santé et rassemblant plus de 90 millions de sujets, les auteurs ont rassemblé une cohorte de plus de 115 000 personnes de 46,4 ans d’âge moyen, dont 44 % de sexe féminin, souffrant de troubles psychosociaux liés au cannabis, sans antécédent de cancer de la tête et du cou à l’entrée. Une cohorte de près de 4 millions d’individus, de 61 ans d’âge moyen, dont 54 % de femmes sans antécédents de troubles liés au cannabis ni de cancer de la tête et du cou a par ailleurs été constituée. Après appariement sur scores de propensité tenant compte notamment des critères démographiques, de la consommation d’alcool et de tabac, chaque cohorte a été réduite à 115 000 personnes. Le critère primaire retenu dans ce travail est le développement de cancer de la tête et du cou.
Un risque multiplié par plus de trois près appariement
Globalement, le taux d’apparition de cancers de la tête et du cou s’est avéré plus élevé dans la cohorte souffrant de troubles liés au cannabis que dans celle n’en souffrant pas.
La comparaison de ces deux cohortes appariées met en évidence un important surrisque de développer un cancer de la tête et du cou associé aux troubles liés au cannabis. Le risque relatif est multiplié par 3,5 (RR = 3,49 [2,78-4,39]).
L’analyse par site tumoral montre en particulier que le risque de cancer oral est multiplié par 2,5 (RR = 2,51 [1,81-3,47]), celui de cancer de l’oropharynx est quasiment multiplié par 5 (RR = 4,90 [2,99-8,02]), celui de cancer du larynx est multiplié par plus de 8 (RR = 8,39 [4,72-14,90]) quand celui des glandes salivaires est quasi multiplié par trois (RR = 2,70 [1,31-5,58]).
Ces différences sont retrouvées à la fois chez les plus jeunes (moins de 60 ans) et les plus âgés (plus de 60 ans).
Enfin, quand on se limite aux cancers survenant plus d’un an après le diagnostic de trouble lié au cannabis, la plupart de ces associations augmentent. Ce qui, selon les auteurs, ajoute à la démonstration.
Un mécanisme possiblement pro-carcinogène
Le tabac contient de nombreux carcinogènes potentiels, parmi lesquels les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les nitrosamines, produits qui ont été les mieux étudiés. Les métabolites actifs de ces carcinogènes peuvent induire des altérations de l’ADN et une réponse inflammatoire pouvant promouvoir une transformation néoplasique. Dans la fumée du cannabis, on retrouve certains carcinogènes du tabac. En outre, le tétrahydrocannabinnol (THC), le cannabidiol et d’autres cannabinoïdes sont des ligands des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG), qui sont à même d’activer la transcription d’enzymes participant à la transformation des hydrocarbures aromatiques polycycliques en carcinogènes, notamment par la voie oncogénique MAPK.
Certains éléments associés à la consommation de cannabis pourraient donc s’avérer pro-carcinogènes.
Après avoir longtemps sous-estimé les méfaits du tabac, et alors que l’usage du cannabis va croissant parallèlement à sa légalisation, il devient donc urgent d’examiner plus avant l’association entre consommation de cannabis et cancers de la tête et du cou. Cette association pourrait en effet à l’avenir poser un important problème de santé publique.
(1) TJ Gallagher et al. Cannabis Use and Head and Neck Cancer. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. 2024 Aug 8:e242419
(2) Cannabis and Head and Neck Cancer -Déjà Vu All Over Again? JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2024. 2024 Aug 8
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?