Le ministère de la Santé a pris une décision lourde de conséquences pour les femmes atteintes d’un cancer du col de l’utérus au stade avancé : dé-rembourser de fait un médicament anticancéreux majeur, l’Avastin. Comme l’attestent les résultats d’une importante étude internationale (1), nous savons depuis 2014 que ce médicament améliore l’efficacité globale de la chimiothérapie et la durée de vie des patientes. Il s’agit, faut-il le rappeler, d’un cancer d’une particulière gravité, qui touche régulièrement des femmes jeunes. L’utilisation de l’Avastin est le principal progrès réalisé ces 20 dernières années dans le traitement de cette maladie.
Non seulement le ministère a mis 3 ans à instruire un dossier de prise en charge par la Sécurité sociale, alors que la FDA (Food and Drug Administration) américaine s’est prononcée favorablement en août 2014, l’Agence Européenne EMA (European Medicine Agency) ayant fait de même en avril 2015, mais il vient de créer les conditions qui rendent impossible la prescription de ce médicament en France.
Dans notre pays, les médicaments anticancéreux dits « coûteux » font l’objet d’un financement spécifique. Inscrits sur une liste appelée « liste en sus », ils sont remboursés aux établissements de soins directement par l’assurance-maladie. Sans cela, les hôpitaux et cliniques ne pourraient pas « se payer » de tels traitements, qui dépassent le budget dont ils disposent pour traiter les cancers. En décidant de ne pas inscrire l’Avastin sur la liste en sus, le ministère ne procède pas officiellement à un non-remboursement ; il se dédouane au détriment des établissements de soins. Il le fait pour des raisons exclusivement financières, il s’agit donc d’un rationnement non assumé qui aboutit à une perte de chances de survie pour les malades. Double peine, car les études cliniques de nouveaux médicaments dans le cancer du col de l’utérus ne s’adressent aujourd’hui qu’aux patientes ayant déjà été traitées par Avastin. En somme, la privation d’accès à ce médicament implique ipso facto l’impossibilité de bénéficier ensuite de médicaments nouveaux dans le cadre de la recherche.
Au sein de la quasi-totalité établissements, les cancérologues se voient imposer de ne pas prescrire, en totale contradiction avec leur éthique. Dans le même temps, l’Avastin étant de toute façon sur le marché, il est en revanche tout à fait possible de le prescrire à une patiente étrangère qui aurait les moyens de couvrir la dépense, ou plus généralement à des patientes soignées dans certains établissements plutôt que d’autres, au gré de choix locaux, ou enfin à certaines patientes plutôt qu’à d’autres. Nous refusons de porter la responsabilité de ces inégalités constitutives d’un scandale de santé publique et attentatoire aux désormais célèbres « valeurs de la République », parce que cette responsabilité est celle des politiques.
Instrumentalisation
Un autre scandale tout aussi insupportable est l’instrumentalisation des évaluations soi-disant scientifiques de la commission dite « de la transparence » de la Haute Autorité de Santé. Cette commission, qui ne comporte pourtant, dans le cas qui nous occupe, aucun expert reconnu des cancers de la femme, évalue « l’amélioration du service médical rendu » (ASMR) des médicaments, sur une échelle de 1 à 5 (5 représentant l’absence d’amélioration). L’ASMR sert en théorie à fixer le prix négocié avec les laboratoires pharmaceutiques. Ici, les ASMR sont utilisées pour réaliser des économies, sans aucune justification scientifique valable. C’est ainsi que les malades du cancer se voient privés de la possibilité d’un traitement par Avastin dans le cancer du col de l’utérus (ASMR 4, évaluation dont nous ne reconnaissons pas la pertinence), mais aussi d’autres médicaments anticancéreux majeurs en France. Notre pays est en train de régresser dans la possibilité d’accès des patients à l’innovation et dans les délais de mise à disposition des médicaments, comme le montrent les études internationales les plus récentes.
Ce n’est pas le cas, par exemple, des États-Unis où les patients, mieux organisés, ont les moyens médiatiques et juridiques de se faire entendre. En outre, le cancer du col de l’utérus touche souvent des patientes fragilisées sur le plan social.
Cette politique d’économie sur le dos des malades n’est ni légitime ni le fruit d’une concertation avec les cancérologues et les patients eux-mêmes. Elle heurte notre conscience médicale et préfigure le déclassement de la cancérologie française qui est pourtant une des toutes meilleures au monde. Tout cela pour des économies modestes : la prise en charge du cancer représente 10 % des dépenses de l’assurance-maladie ; les médicaments anticancéreux de l’ordre de 1,5 %.
Il n’y aurait plus d’argent pour le cancer ? Erreur. Notre protection sociale prend en charge bien des dépenses dont l’utilité est discutable (transports, arrêts de travail plus ou moins justifiés, certificats médicaux pour la pratique sportive…) et entretient un système de gestion dispendieux et peu efficace. Il est temps de rappeler que le système de santé doit être au service des malades et qu’il doit d’abord protéger les plus vulnérables d’entre eux.
(1) Tewari SK et al. Improved survival with bevacizumab in advanced cervical cancer. N Engl J Med. 2014 Feb 20 ; 370(8):734-43.
* Les signataires :
Le conseil scientifique du GINECO : J. ALEXANDRE – Paris ; D. AVENIN – Paris ; T. BACHELOT – Lyon ; D. BERTON-RIGAUD – Nantes ; H. CURE - Grenoble ; C. DUBOT – Paris ; T. DE LA MOTTE ROUGE – Rennes ; G DE RAUGLAUDRE – Avignon ; L DUPUY-BROUSSEAU – Chambéry ; M. FABBRO – Montpellier ; C. FALANDRY – Lyon ; G. FERRON – Toulouse ; A. FLOQUET – Bordeaux ; P. FOLLANA – Nice ; G. FREYER – Lyon ; C. GENESTIE - Paris ; L. GLADIEFF - Toulouse ; A-C. HARDY-BESSARD – St Brieuc ; F JOLY – Caen ; P-A JUST – Paris ; E. KALBACHER – Besançon ; J-E. KURTZ – Strasbourg ; A. LEARY – Paris ; F. LECURU – Paris ; A. LESOIN – Lille ; A. LORTHOLARY – Nantes ; E. PUJADE-LAURAINE – Paris ; P. PAUTIER – Paris ; K. PRULHIERE – Reims ; I. RAY-COQUARD – Lyon ; F.SELLE – Paris ; O. TREDAN – Lyon ; B. YOU – Lyon
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