327 000 euros ! C'est le prix, fixé en juillet dernier, d'une injection de Yescarta, les CAR-T cells de Gilead indiqués dans le traitement de 3e ligne du lymphome diffus à grandes cellules B et du lymphome médiastinal primitif à grandes cellules B réfractaire ou en rechute. Kymrhia, seconds CAR-T cells disponibles en Europe, commercialisés par Novartis, bénéficie d'un prix provisoire de 320 000 euros.
Pour les laboratoires, ces chiffres se justifient par la révolution thérapeutique que représentent ces nouvelles immunothérapies : les essais cliniques font état de taux de rémission de 80 % à 3 mois chez des patients en échec thérapeutique (1) et de taux de survie sans récidive de plus de 50 % à un an. Mais les prix hors norme interpellent les centres de thérapies cellulaires et géniques. Car ces derniers seraient en mesure de produire des CAR-T cells académiques à des coûts bien inférieurs. « Selon la littérature, le coût global pour la fabrication d’un CAR-T cell académique (vecteur viral, production du CAR-T cell, contrôles de qualité, frais de personnel et de structure) se situe entre 65 000 et 90 000 euros », estime le Pr Jérôme Larghero, directeur du département de biothérapies de l'hôpital Saint-Louis (AP-HP). Une économie très importante… Mais qui reste du domaine de l'hypothèse : le cadre législatif actuel empêche l'émergence de filières publiques de production de CAR-T cells.
Règles de bonne pratique
Les CAR-T cells sont des lymphocytes T prélevés au patient par aphérèse, puis modifiés génétiquement de manière à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique (chimeric antigen receptor, ou CAR). Étant des cellules issues du patient, les CAR-T cells relèvent des règles de bonnes pratiques détaillées dans l'arrêté du 16 décembre 1998, qui encadrent l'entretien préalable, la sélection des donneurs, les contrôles biologiques avant prélèvement, etc.
Elles relèvent aussi du statut de « médicament de thérapie cellulaire », conformément au règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen. Un centre de thérapie cellulaire qui souhaite produire ses propres CAR-T cells doit donc respecter les bonnes pratiques de fabrication. Or, peu de structures en ont les moyens. Cela exige, par exemple, d'auditer les fournisseurs. « Comment puis-je auditer les fabricants de consommables, de poches de sérum, etc. ? Cette réglementation est inapplicable », déplore le Pr Olivier Boyer, directeur du laboratoire « Immunologie et Biothérapies » (CHU de Rouen).
Cette difficulté d'origine européenne se double d'un autre obstacle, bien français celui-là : le Code de la santé publique interdit aux hôpitaux publiques de prétendre au statut d'établissement pharmaceutique, et donc de produire un médicament dans un autre cadre que celui de la recherche clinique. « C'est un handicap par rapport à d’autres structures existantes chez nos voisins européens », ajoute le Pr Jérôme Larghero.
Deux programmes hospitaliers
Conséquence, seuls deux programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) ont été financés dans le domaine des CAR-T cells : un essai de phase I/IIA de CAR-T cells bispécifiques (anti-CD19 et anti-CD20) dans la leucémie aiguë lymphoblastique B conduit par le Pr Nicolas Boissel (hôpital Saint-Louis), et un essai dans les hémopathies malignes utilisant un CAR-T anti-CD19 conduit par le Pr Sébastien Maury (hôpital Henri Mondor). S'ajoute à cela le programme de recherche du Dr Christophe Ferrand (EFS Besançon) sur des CAR-T visant à prévenir la récidive dans la leucémie myéloïde chronique. C'est peu. En comparaison, la base de données ClinicalTrial recense près de 200 programmes de recherche clinique sur les CAR-T cells à financement public dans le monde ! Une écrasante majorité d'études sont chinoises.
Quelques dérogations existent : c'est le cas des CAR-T cells produites comme des médicaments expérimentaux, avec un statut soit de médicaments de thérapie innovante (MTI, loi de novembre 2016), soit de médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement (MTI-PP), dans le cadre de l'exemption hospitalière définie par le règlement européen CE 2007-1394. « Ce régime est adapté aux CAR-T cells, mais il s'applique principalement dans le cadre de la recherche, résume le Pr Boyer, et je ne peux faire que des MTI-PP que l'industrie ne produit pas. »
La fabrication d'immunothérapies CAR-T cells académiques reposera peut-être à l'avenir sur la mise en place de centres de production tels que celui lancé début 2019 à Paris, par l'AP-HP et placé sous la responsabilité du Pr Jérôme Larghero. « Nous ne visons pas à produire les mêmes CAR-T cells que ceux développés par les industriels, explique le Pr Larghero. Le centre Meary de thérapie cellulaire et génique de l’AP-HP est principalement conçu pour alimenter des essais cliniques innovants (nouvelles approches de bioproduction et nouvelles constructions de CAR…), pour les besoins des acteurs de l'AP-HP ou dans le cadre de collaborations nationales et internationales. »
[1] L.Shannon et al, The New England Journal of Medicine, DOI : 10.1056/NEJMoa1709866, 2018
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