Le cancer bronchique chez le sujet âgé

Le point de vue du chirurgien

Publié le 25/03/2010
Article réservé aux abonnés

DU FAIT d’un tabagisme de plus en plus précoce et du vieillissement de plus en plus marqué de la population, le cancer du poumon atteint de plus en plus fréquemment les sujets de plus de 80 ans. Cette tranche d’âge ne représente toutefois que de 1 à 7 % de l’ensemble des cancers du poumon opérés. L’exérèse chirurgicale est la pierre angulaire du traitement des cancers non à petites cellules (CPNPC) non métastatiques (1). Elle ne peut être utilisée que chez des patients sélectionnés en fonction de leur âge physiologique, qui détermine l’opérabilité sur le plan général. Dans une série de l’hôpital européen Georges Pompidou, entre 1983 et 2003, les sujets de plus de 80 ans opérés d’un cancer pulmonaire non à petites cellules (CPNPC) représentaient 2,46 % de l’ensemble des patients opérés pour la même raison (2). Toutefois, une augmentation hautement significative de l’incidence de cette pathologie chez les octogénaires en a fait passer la fréquence de 1,2 % avant 1990 à 3,3 % depuis 1997.

Une survie nulle à 50 mois chez les patients N2.

Ces octogénaires étaient caractérisés par une fréquence élevée d’antécédents médicaux, essentiellement cancer, artériopathie, affection neurologique, insuffisance coronaire ou hypertension artérielle. Ils étaient aussi caractérisés par l’absence de survie au-delà de 50 mois en cas de cancer de stade III. Ainsi, les taux de survie étaient nuls à 5 ans chez les patients classés N2 (adénopathies tumorales médiastinales homolatérales et/ou sous-carénaires) et d’environ 25 % en cas de tumeur classée N1 (adénopathies tumorales intrapulmonaires). Les causes du décès à long terme étaient, sinon, plus fréquemment le fait de pathologies associées autres que celui du cancer bronchique lui-même. Ainsi, chez les octogénaires, les contre-indications chirurgicales en dehors des stades III sont surtout liées à l’état général et au performance status de l’OMS, comme l’atteste l’importance des antécédents médicaux chez ces patients dont beaucoup sont néanmoins opérés. En raison de la fréquence de ces antécédents médicaux et plus particulièrement des cancers et des pathologies associées à l’âge, notamment les maladies cardio-vasculaires, la chirurgie ne peut être proposée que si le patient a échappé à toute pathologie grave ou n’en a gardé que des séquelles mineures.

L’intervention chirurgicale reste la pierre angulaire du traitement.

Certaines données que nous avons observées sont cohérentes avec celles de la littérature. Ainsi, chez les octogénaires, le taux des thoracotomies exploratrices et de résections incomplètes est faible, de l’ordre de 6 à 8 %. En revanche, alors qu’elles ont concerné près d’un tiers de nos patients tous âges confondus, la fréquence des pneumonectomies n’est en moyenne que de 9 % seulement chez les octogénaires. Les chirurgiens ont en effet tendance à réaliser des exérèses de plus en plus petites, segmentectomies ou résections atypiques, qui peuvent représenter jusqu’à 60 % des interventions réalisées chez l’octogénaire depuis 2000. Les équipes japonaises notamment sont particulièrement friandes de ces exérèses limitées et certaines d’entre elles préconisent même l’abstention de tout curage médiastinal. Elles peuvent être pratiquées par des abords thoraciques limités (vidéothoracoscopie). Cette tendance traduit malheureusement le fait que beaucoup d’octogénaires sont récusés par ces équipes car cette chirurgie n’est applicable qu’à de tout petits cancers périphériques. Chez les sujets âgés, les complications ne sont pas plus fréquentes que chez les sujets plus jeunes, mais elles sont moins bien tolérées, et la mortalité postopératoire est un risque plus grand. Toutefois, même si elle est plus élevée que chez les sujets jeunes, cela ne permet pas de récuser une chirurgie correcte à visée carcinologique chez l’octogénaire, au profit d’une chirurgie a minima qui, de surcroît, n’est pas satisfaisante sur le plan cancérologique. Il en va de même pour certaines techniques développées récemment et en cours d’évaluation, comme l’ablation des tumeurs par radiofréquence ou leur éradication par chirurgie stéréotaxique (cyberknife) qui, de palliatives et réservées à des patients non opérables, ont tendance à être appliquées de façon de plus en plus systématique à une population de patients pouvant être opérés. Au total, les octogénaires sont de plus en plus souvent opérés d’un cancer du poumon. L’intervention chirurgicale reste le traitement de référence. L’intervention doit, bien entendu, être complète sur le plan carcinologique. Il est possible de porter des indications correctes sans récuser des patients uniquement en raison de leur âge, grâce à un bilan d’opérabilité et de résécabilité. Toutefois, la chirurgie perd tout intérêt en cas d’atteinte N2 confirmée lors du bilan préopératoire. La pneumonectomie droite reste par ailleurs à éviter.

D’après un entretien avec le Pr Marc Riquet, service de chirurgie thoracique, hôpital européen Georges Pompidou, Paris.

(1) Thomas P, et coll. Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire. Pratiques chirurgicales dans le traitement du cancer primitif non à petites cellules du poumon. Recommandations. Rev Mal Respir 2008;25(8):1031-6.

(2) Foucault C, et coll. Cancer du poumon avant 40 ans et après 80 ans. Aspects chirurgicaux. Rev Pneumol Clin 2007;63:305-11.

Dr GERARD BOZET

Source : Bilan spécialistes