Par le Dr Philippe Beuzeboc*
JUSQU’À PRÉSENT, l’hormonothérapie du cancer de la prostate faisait appel à une castration soit chirurgicale (pulpectomie), soit médicale par agoniste de la LH-RH (triptoréline, goséréline, leuproréline) ou, plus récemment, par antagoniste de la LH-RH (dégarélix) et à des antiandrogènes périphériques (bicalutamide, flutamide ou nicalutamide) ou centraux (acétate de cyprotérone). Quand on associe de façon concomitante un agoniste de la LH-RH et un antiandrogène, on parle de blocage androgénique complet (BAC). En cas de progression biologique sous BAC, il faut, dans un premier temps, arrêter l’antiandrogène à la recherche d’un syndrome de retrait qui se traduit par une baisse du PSA dans 15 % à 25 % des cas (lié à un effet agoniste paradoxal de l’antiandrogène). Jusqu’à récemment, la seule alternative hormonale de rattrapage restait les estrogènes (diéthylstilbestrol), responsables d’un taux élevé de maladie thrombo-embolique (6-7 %).
Il est actuellement clairement démontré que, en cas de résistance à la castration, la prolifération tumorale reste dépendante de la signalisation par le récepteur aux androgènes (RA). À cet égard, le développement actuel de nouvelles hormonothérapies est le fruit d’une meilleure compréhension des mécanismes biologiques qui sous-tendent la prolifération tumorale à ce stade. Les cellules du cancer de la prostate développent une résistance à la castration par l’acquisition de modifications biologiques caractérisées par une surexpression du RA et une surexpression d’enzymes impliquées dans la synthèse des androgènes.
Le maintien des androgènes intratumoraux constitue un mécanisme de croissance des cancers de la prostate résistant à la castration, capable d’activer les gènes cibles du RA (comme le prouve l’augmentation du PSA) et de maintenir les cellules tumorales vivantes.
Ainsi, il a été montré que les taux de testostérone et de dihydrotestostérone (DHT) dans les cellules tumorales restaient élevés malgré des testostéronémies à un niveau de castration (<0,5 ng/ml). On constate une augmentation de l’expression d’enzymes convertissant des androgènes surrénaliens ou la progestérone en testostérone dans les cancers résistant à la castration. Montgomery et coll. ont montré que les niveaux de testostérone et les transcripts d’enzymes de la stéroïdogenèse étaient plus élevés dans les métastases de patients castrés que dans les cancers de la prostate primaires de patients non castrés. Cette stéroïdogenèse intracrine permet de contourner les niveaux faibles d’androgènes circulants.
Les résultats cliniques de l’acétate d’abiratérone, un inhibiteur de la CYP17 qui régule la synthèse des androgènes, et du MDV3100, un antiandrogène de deuxième génération, viennent de confirmer ces concepts.
Une privation hormonale (par agoniste ou antagoniste de la LH-RH ou pulpectomie) doit être maintenue avec ces deux traitements dans les cancers résistant à la castration.
L’acétate d’abiratérone.
L’acétate d’abiratérone est une petite molécule, biodisponible par voie orale, inhibant de façon puissante et sélective la CYP17. La synthèse des androgènes dépend d’une enzyme, la CYP 17, qui catalyse deux réactions clés (la 17 alphahydroxylase et la 17,20 lyase) (figure). L’acétate d’abiratérone bloque la production de testostérone au niveau des testicules, des glandes surrénales et des cellules tumorales prostatiques.
Il n’entraîne pas d’insuffisance surrénalienne. La synthèse de corticostérone, un corticostéroïde plus faible que le cortisol, est préservée. Il en résulte une élévation de l’ACTH avec un syndrome d’hypersécrétion de minéralocorticoïdes caractérisé par une rétention hydrosodée, une hypokaliémie et une hypertension. L’utilisation systématique d’une corticothérapie à faible dose (10 mg/jour de prednisone) supprime cette élévation d’ACTH et les signes d’hyperaldostéronisme.
L’acétate d’abiratérone vient d’être agréé par la FDA et l’EMEA dans les cancers de la prostate métastatiques résistant à la castration après docétaxel, les résultats d’une importante étude de phase III (COU-AA-301) ayant montré un gain en survie globale. Il est nécessaire de contrôler régulièrement l’ionogramme sanguin, les transaminases et la pression artérielle. Les effets secondaires sont limités à un risque faible d’hypokaliémie (3 % de grade 3-4), de troubles hépatiques (3,5 %), d’œdèmes des membres inférieurs (2,3 % de grade 3-4) et d’hypertension (9,7 % tous grades, 1,3 % de grade 3-4).
Il faudra attendre les résultats en juin d’une deuxième étude de phase III (COU-AA-302) chez des patients métastatiques résistant à la castration et chimionaïfs, pour envisager une utilisation à un stade plus précoce.
Un autre inhibiteur de la CYP17, le TAK700 (Orteronel), est en cours de développement avec deux essais de phase III en cours versus placebo après et avant docétaxel, également en association avec la prednisone (5 mg x 2/jour).
Le MDV 3100.
Le MDV 3100 est un nouvel antiandrogène, sélectionné à partir d’un screening de 200 antiandrogènes appartenant à une nouvelle famille (les diarylthiohydantoïnes) dont l’affinité pour le RA est de 5 à 8 fois supérieure à celle du bicalutamide. Le MDV 3100, après s’être fixé au RA, empêche sa translocation et sa fixation à l’ADN et diminue le recrutement des coactivateurs de la transcription. Il n’a pas d’action agoniste (il n’entraîne donc pas de syndrome de retrait).
Une étude de phase III (AFFIRM) versus placebo, réalisée chez les patients ayant un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration et évoluant après une chimiothérapie par docétaxel, vient de montrer un bénéfice sur la survie globale. Les effets secondaires sont limités à une asthénie modérée. Le risque de convulsion rapporté a été de 0,6 %.
Une autre étude de phase III (PREVAIL), sur le même schéma, est en cours chez les patients ayant un cancer de la prostate résistant à la castration, métastatique, peu ou asymptomatiques et progressifs, non prétraités par chimiothérapie.
Ces nouvelles hormonothérapies vont changer les pratiques dans les prochaines années. Des essais à des stades plus précoces de la maladie sont en cours d’activation.
*Institut Curie, Paris.
Liens d’intérêts : Astellas : coinvestigateur des études AFFIRM et PREVAIL ; Janssen : coinvestigateur d’études avec l’acétate d’abiratérone, émargements pour « boards », cours et présentations.
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