Pr Christophe Le Tourneau, Institut Curie (Paris)

L'immunothérapie disponible en 1 ère ligne métastatique des cancers ORL mais décevante dans les formes localement avancées

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Publié le 17/12/2020

Avec la mise à disposition du pembrolizumab en novembre, l’immunothérapie devient le traitement de référence dans la majorité des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou en rechute. Par contre, ses résultats sont plutôt décevants dans les tumeurs localement avancées...

Crédit photo : curie.fr

L’étude KEYNOTE 048 (1) a ouvert une nouvelle indication au pembrolizumab, en montrant sa supériorité en monothérapie ou en association à la chimiothérapie par rapport au traitement habituel par le protocole EXTREME, dans les cancers ORL en rechute ou métastatiques. En effet, depuis l'accord du comité économique des produits de santé (CEPS) au mois de novembre, le pembrolizumab est dorénavant disponible dans le carcinome épidermoïde de la tête et du cou en première ligne métastatique ou récidivant non résécable, dont les tumeurs expriment le biomarqueur PD-L1 avec un CPS ≥1.

Une survie globale améliorée en 1ère ligne

Chez les patients dont la tumeur exprime le PD-L1 (CPS ≥1), les résultats à 5 ans témoignent d’un allongement significatif de la survie globale : 13,6 mois en association avec la chimiothérapie versus 10,4 mois avec la chimiothérapie seule (RR = 0,65, p<0,0001), 12,3 mois sous pembrolizumab en monothérapie versus 10,3 mois (RR=0,78, p=0,0086), avec une tolérance similaire à celle de la chimiothérapie seule. Ainsi, le pembrolizumab permet, dans cette population de patients, une réduction du risque de décès de 35% en association et 22% en monothérapie (1).

L’immunothérapie, avec le nivolumab, a d’abord été indiquée en deuxième ou troisième ligne en 2018, en cas de récidive après une chimiothérapie de première ligne, sans sélection sur le PDL1. « Avec KEYNOTE 048, l’immunothérapie en monothérapie ou en association avec la chimiothérapie, passe en première ligne dans les rechutes des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou lorsque la tumeur exprime PD-L1, soit 85% des cas », se félicite le Pr Christophe Le Tourneau. C'est une avancée majeure.

Et en situation néoadjuvante ?

L’étude IMCISION, qui évalue le nivolumab en néoadjuvant associé ou non à l’ipilimumab, permet des réponses thérapeutiques complètes chez près d’un tiers des patients, mais au prix d’une toxicité importante. De plus, on ne dispose pas actuellement de marqueurs prédictifs de la réponse. « L’immunothérapie seule ne semble pas être l’avenir en situation néoadjuvante, mais plutôt probablement en association avec la chimiothérapie, et avec une molécule de toxicité inférieure à l’ipilimumbab ».

Des résultats contrastés dans les tumeurs localement avancées

Dans les cancers ORL localement avancés et non éligibles à la chirurgie, l’étude JAVELIN a échoué à augmenter la survie sans progression et la survie globale avec un anti-PD1. L’étude avait randomisé les patients traités par radiothérapie et cisplatine à haute dose, seuls ou en association à l’avélumab, pendant le traitement standard et jusqu’à un an après.

L’essai PembroRAD s’est lui aussi montré négatif. Il a comparé dans les cancers ORL localement avancés, chez des patients ne pouvant pas recevoir de cisplatine, l’association cétuximab-radiothérapie à l’association pembrolizumab-radiothérapie. La tolérance est meilleure sous pembrolizumab mais l’étude n’a pas atteint le critère principal, soit le contrôle locorégional 15 mois après la fin de la radiothérapie, et sans montrer de différence significative sur la survie sans progression ou la survie globale.

On attend les résultats de l’étude KEYNOTE 412, dans la même situation, qui compare la radiochimiothérapie seule ou associée au pembrolizumab et suivie par 10 mois de pembrolizumab en traitement de maintenance.

Par contre, dans cette même situation, « le xénivapant », un pro-apoptotique oral, antagoniste de l’inhibiteur des protéines de l’apoptose, qui stimule l’activité antitumorale de la chimiothérapie et de la radiothérapie, « se montre extrêmement prometteur dans une étude de phase II récemment publiée, avec pratiquement une réduction de moitié de la mortalité à 3 ans » (2). Ces résultats vont être vérifiés dans l’’essai de phase 3 TrilynX, qui est en cours.

La piste du schéma fractionné 

Selon l’étude CisFrad, en répartissant le cisplatine sur quatre jours par semaine, on peut le maintenir à une dose efficace pour une meilleure tolérance, dans les carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou non opérés ou non opérables, ou en traitement adjuvant post-opératoire des formes à haut risque de récidive. Cette stratégie thérapeutique pourrait changer les pratiques mais s’avère complexe à réaliser puisque cela impose au patient de passer quatre nuits en hospitalisation.

D’après un entretien avec le Pr Christophe Le Tourneau, oncologue, Institut Curie
(1) Burtness B et al. KEYNOTE-048 Pembrolizumab alone or with chemotherapy versus cetuximab with chemotherapy for recurrent or metastatic squamous cell carcinoma of the head and neck (KEYNOTE-048): a randomised, open-label, phase 3 study. Lancet. 2019 Nov 23;394(10212):1915-1928.
(2) Sun XS et al. Debio 1143 and high-dose cisplatin chemoradiotherapy in high-risk locoregionally advanced squamous cell carcinoma of the head and neck: a double-blind, multicentre, randomised, phase 2 study, Lancet Oncology, https://doi.org/10.1016/S1470-2045(20)30327-2

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr