Rétrospective ASCO 2020

L’innovation centrée sur l’approche immunologique

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Publié le 25/09/2020

Alors que l’ESMO dévoile déjà ses résultats, qu’avons-nous retenu de l’ASCO ? Nouvelles stratégies de traitement, positionnement de plus en plus précoce de l’immunothérapie et des thérapies ciblées, technologies de manipulation du système immunitaire… Mise au point avec le Pr Jean-Pierre Delord (directeur général de l’Institut Claudius Regaud à l’IUCT-Oncopole de Toulouse) sur les innovations présentées et les espoirs suscités par l’édition 2020 de l’ASCO.

Crédit photo : DR

Depuis huit ans, les publications concernant les anti-PD1 et les anti-CTLA4 se sont multipliées, avec des résultats parfois spectaculaires en association ou à la place de la chimiothérapie, soulignant l’importance de repenser les stratégies. L’approche par l’immunothérapie devrait s’enrichir avec les anticorps conjugués et bispécifiques, les CAR-T cell, et la « vaccination secondaire ».

Des anticorps conjugués aux anticorps bispécifiques

Les anticorps conjugués permettent d’amener la chimiothérapie directement « au cœur » du tissu tumoral, à des doses supérieures et exposant beaucoup moins les tissus sains. Ainsi le trastuzumab conjugué à une chimiothérapie comme le deruxtecan ou l’emtansine, se révèle plus efficace que le trastuzumab seul, non seulement dans le cancer du sein ou de l’ovaire HER2 mais aussi dans d’autres tumeurs exprimant faiblement HER2, comme certains cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC), de l’estomac ou du colon. Diverses molécules ont montré leur intérêt dans ce type d’approche. Les données sont encore trop précoces pour transformer immédiatement les pratiques, mais soulignent que dans des sous-groupes bien sélectionnés, ce développement technologique devrait apporter un bénéfice, à confirmer par des essais cliniques plus larges.

Les anticorps bispécifiques, dont aucun n’est encore commercialisé, représentent une prouesse technologique et montrent une efficacité supérieure à l’association de deux anticorps visant deux cibles différentes. Certains ont déjà fait leurs preuves dans la LAL, la LAM et le myélome. D’autres sont à l’étude comme le MCLA-128, un anticorps bispécifique ciblant la voie de signalisation des récepteurs HER3, dans les cancers du sein métastatiques, ou l’amivantamab ciblant l’EGFR muté et MET dans les mutations de l’exon 20 du CBNPC, dans une population pour laquelle on ne disposait pas d’alternatives thérapeutiques.

Les CAR-T cells toujours en vedette  

Le nombre croissant de publications montre l’intensité de la recherche mondiale sur l’immunothérapie cellulaire adoptive CAR-T, dans laquelle la France est très active. Il est actuellement trop tôt pour conclure, mais on sent un frémissement technologique, avec maintenant la capacité qu’ont les laboratoires de fabriquer des CAR-T cells dans des délais très courts. Les CAR-T cells confirment leur intérêt dans certaines hémopathies (LAL, myélomes, lymphomes) et font leur entrée dans certaines tumeurs solides comme le sein, le pancréas, le mélanome… « Dans les tumeurs solides, le challenge est de cibler les antigènes exprimés qui sont deux à trois fois plus nombreux que dans les hémopathies, et surtout de savoir si la reconnaissance de ces antigènes par les récepteurs chimériques va provoquer une réponse immunologique spécifique sans toxicité pour les tissus sains qui peuvent aussi exprimer ces antigènes », explique le Pr Jean-Pierre Delord.

La vaccination à visée thérapeutique

Dans le même registre, se développe également l’immunothérapie visant des antigènes présentés par les cellules cancéreuses et dont on stimule l’expansion clonale par les vaccins. Cette « vaccination secondaire » à visée thérapeutique couplée à la capacité à mener des analyses moléculaires à très haut débit, aux outils de calculs et de modélisation grâce à l’intelligence artificielle semble une option prometteuse pour se lancer sur la voie des vaccins individuels dans les tumeurs. On manque encore de preuves et certaines questions restent à résoudre : les enjeux technologiques de la préparation, l’obstacle que représente le micro-environnement tumoral (souvent défavorable), la proportion de patients chez qui on peut « réveiller » une ou plusieurs populations de lymphocytes T actifs qui s’attaqueront aux cellules cancéreuses. 

Les stratégies « histologiquement agnostiques »

L’immunothérapie trouve logiquement sa place dans les approches thérapeutiques transversales, qui ne sont plus déterminées par une localisation ou un type histologique particulier mais par les anomalies moléculaires. Cette stratégie transtumorale constitue un virage en oncologie, avec la possibilité de s’adresser à des tumeurs rares unies par des anomalies moléculaires communes. C’est par exemple le cas du pembrolizumab prescrit en cas d’une instabilité des microsatellites, très rare, qu’on rencontre un peu plus souvent dans certains cancers du côlon ou de l’utérus. C’est aussi le cas de l’anticorps conjugué, le trastuzumab/deruxtecan ou emtansine, dans les cancers exprimant le HER2. 

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr