Pourquoi ce cancer du sein, pourquoi moi ? La question est au cœur de la consultation d'annonce, pour chaque patiente. Elle est un enjeu central de la recherche et de la prise en charge : aussi l'institut Curie, premier centre européen de lutte contre les cancers du sein, fait-il de la compréhension des origines de la maladie, le thème de l'édition 2023 d'Octobre rose.
Avec plus de 60 000 nouveaux cas par an (61 214 en 2023), le cancer du sein est le premier cancer féminin et la première cause de mortalité oncologique chez les femmes. Si le taux de mortalité diminue et les pronostics s'améliorent, le taux de rechute reste de 15 à 20 %.
Pluralité des origines
« Les cancers du sein sont d'une très grande diversité ; aucun ne ressemble à un autre, car les cellules d'origine ne sont pas les mêmes, ni le micro-environnement, ni les premières mutations qui influencent l'évolution de la tumeur (la tumorigenèse) » explique le Pr Alain Puisieux, directeur du centre de recherche à l'Institut Curie. « À cela s'ajoutent les différences dans la plasticité individuelle des cellules cancéreuses : leur capacité à changer d'identité pour s'adapter aux stress génotoxiques », précise-t-il.
Comprendre les processus d'altération précoce des cellules devrait permettre de déployer des démarches d'interception, « avec l'espoir d'interférer dès le stade initial, avant le stade clinique », précise le Pr Puisieux.
Cibler la réparation et la plasticité
Une nouvelle piste pour détruire la cellule cancéreuse a été récemment ouverte par le Dr Raphaël Ceccaldi, chargé de recherche à l'Inserm et chef d'équipe à Curie. Il a mis en lumière dans un article publié dans Nature un système de réparation de l'ADN jusque-là inconnu, qui implique la protéine Pol θ (polymérase théta). Ce système est activé au cours de la division cellulaire, alors qu'on pensait jusqu'à présent qu'il ne pouvait y avoir de réparation lors de la mitose. En outre, le chercheur a montré que ce système de réparation dépendant de Pol θ était nécessaire à la survie des cellules cancéreuses, en particulier dans les cancers du sein triple négatif (soit 15 % des cancers du sein, 7 500 femmes par an). Son inhibition pourrait bloquer voire détruire la prolifération des cellules cancéreuses.
Autre voie prometteuse pour bloquer les métastases, l'inhibition de la plasticité cellulaire. La Dr Céline Vallot, aussi cheffe d'équipe à Curie et directrice de recherche au CNRS, explore la plasticité cellulaire qui permet à une cellule de s'adapter à un stress, plutôt que de se détruire par apoptose ou sénescence (ce qui protégerait l'organisme).
Pour ce faire, « nous cherchons à établir des cartes d'identité épigénétiques de chacune des cellules, individuellement, dans une tumeur. Il s'agit d'établir les caractéristiques non pas de la séquence d'ADN elle-même, mais des modifications autour de cette séquence qui influencent l'expression des gènes », explique la Dr Vallot. « Grâce à une méthodologie d'une extrême précision (analyse en cellule unique, ou single cell), nous identifions aux stades les plus précoces les profils épigénétiques responsables de la plasticité de cellules tumorales de la glande mammaire », poursuit-elle.
« Jusqu'à présent, la chimio ou les radiothérapies bloquaient la prolifération, mais des mécanismes d'échappement persistaient, résume le Pr Puisieux. Cette nouvelle voie est prometteuse en ce qu'elle s'attaque à la capacité des cellules à s'adapter, y compris aux traitements ».
Ces travaux devraient aussi permettre d'approfondir la recherche sur les marqueurs, notamment dans l'ADN circulant, afin de pouvoir identifier le plus précocement possible les femmes avec un cancer in situ, voire un état précancéreux.
Un IHU pour amener la recherche aux patientes
La récente sélection de l'Institut des cancers des femmes - fondé par l'Institut Curie, l'université PSL (Paris Sciences & Lettres) et l'Inserm, comme nouvel institut hospitalo-universitaire (IHU) dans le cadre de France 2030, avec à la clef un financement de 20 millions d'euros - devrait accélérer le passage de la recherche à la clinique, assure sa présidente la Pr Anne Vincent-Salomon.
En réunissant chercheurs, médecins, soignants, patientes et associations, le contrat est d'assurer une prise en charge holistique, ceci depuis la prévention. « Les marqueurs sont multiples : il y a certes l'ADN circulant, mais aussi l'imagerie et les données sociales », souligne le Pr Steven Le Gouill, directeur de l'ensemble hospitalier de l'Institut Curie.
Sans oublier l'oncogénétique, puisque 5 à 10 % des cancers du sein sont diagnostiqués dans un contexte de prédispositions génétiques. La consultation d'oncogénétique de la Pr Dominique Stoppa-Lyonnet est ainsi à même d'analyser un panel de 13 gènes de prédisposition (BRCA1 et 2, PALB2, TP53, etc.).
Une maison des préventions (primaire, mais aussi des effets secondaires et des rechutes) devrait voir le jour, laissant la part belle aux soins de support et à l'activité physique. « Ils aident la patiente à ne pas se laisser submerger par la maladie et sa fatigue », précise la Pr Carole Bouleuc, cheffe du département interdisciplinaire des soins de support qui insiste enfin sur l'accompagnement dans la vie professionnelle. « Selon les résultats de l'étude Vican 5, 20 % des femmes emploi lors du diagnostic, ne travaillent plus cinq ans après un cancer », rappelle-t-elle.
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