LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - En dehors de leur incidence, qu’est-ce qui caractérise les tumeurs rares ?
Pr JEAN-YVES BLAY - On rassemble sous le terme « cancers rares » les tumeurs dont l’incidence annuelle est en effet inférieure à 3 pour 100 000 nouveaux cas. Mais ce chiffre cache une importante disparité car ces cancers sont hétérogènes. Les sarcomes, par exemple, regroupent une cinquantaine d’histologies et probablement une centaine d’entités moléculaires différentes. Quoique rares, ils représentent environ 15 à 20 % de l’ensemble des cancers, ce qui est loin d’être marginal. Dans la mesure où ils sont plus difficiles à diagnostiquer, à traiter et à prendre en charge que les tumeurs non rares, ils contribuent de manière assez substantielle au risque de décès liés aux cancers.
En février 2009, l’INCa (Institut national du cancer) lançait une nouvelle organisation de la prise en charge des patients atteints de cancers rares, avec notamment la labellisation de centres de références et de compétences. Vous êtes responsable du centre expert des sarcomes des tissus mous et des viscères de la région Rhône-Alpes. Quelle est la mission de ces structures ?
L’appel visait à mieux structurer l’offre de soins autour de centres experts nationaux (centres de référence) et de centres experts régionaux (centres de compétence) afin que tous les patients sur tout le territoire bénéficient d’un avis expert pour le diagnostic, le traitement et la prise en charge de leur maladie. L’INCa est ainsi venu en soutien des réseaux qui étaient déjà en place ou qui étaient en train de se constituer. Ces réseaux ont une mission très large et très importante : mieux connaître l’épidémiologie des cancers rares, recenser les recommandations de bonnes pratiques, informer sur ces bonnes pratiques afin qu’elles soient transmises et connues par les praticiens, communiquer auprès du patient. Les réseaux ont enfin la mission de développer une recherche de qualité qui réponde aux besoins des patients.
L’étude réalisée par le Cercle des tumeurs rares montre que 79 % des médecins généralistes ne connaissent pas cette démarche de labellisation des centres experts.
Le médecin est au cœur du dispositif. Le patient atteint d’une tumeur rare est un malade comme un autre et son premier contact sera avec le généraliste. Ce dernier a besoin d’information pour pouvoir orienter au mieux son patient et le guider dans la jungle des tumeurs rares. Pour cela, les contacts avec les centres experts sont importants. Il ne s’agit pas pour lui de se défausser et de transférer un patient dont la prise en charge lui échappe. Au contraire, les généralistes veulent continuer à suivre leurs patients. Depuis cinq ou dix ans que nous travaillons sur les tumeurs rares et les réseaux, nous avons constaté qu’ils sont de plus en plus impliqués et jouent de plus en plus le rôle de premiers relais de la prise en charge. Beaucoup adressent directement leurs patients aux centres, même si, comme le montre l’étude, ils le font 3 ou 4 fois moins que les spécialistes.
L’enquête montre aussi qu’ils méconnaissent les associations de patients dédiées aux tumeurs rares ?
Les liens entre les associations de patients et les médecins sont à construire. Les associations savent s’organiser pour trouver les réponses à leurs questions. Elles finissent par mieux connaître la maladie que les médecins, ce qui peut mettre ces derniers dans une position parfois inconfortable. Toutefois, beaucoup reconnaissent que ces associations ont un vrai rôle à jouer. Médecins et associations de patients sont des partenaires importants qui vont devoir travailler ensemble.
Le vécu des patients atteints de tumeurs rares a été comparé à celui des patients atteints de tumeurs non rares. Est-ce si différent ?
C’est une des surprises de l’enquête. Finalement, les patients atteints de tumeurs rares et ceux atteints de tumeurs non rares partagent un certain nombre de questionnements et de remarques sur les conditions de prise en charge de leur maladie. La distinction entre tumeurs rares et non rares devrait s’estomper dans un proche avenir. Les tumeurs dites fréquentes sont en réalité un conglomérat de tumeurs rares qui ne sont pas encore identifiées comme telles. Un cancer comme celui du sein correspond à une dizaine voire une vingtaine de maladies différentes. Les problèmes que posent par la prise en charge des tumeurs rares sont probablement emblématiques de ceux qui se poseront pour l’ensemble des tumeurs. La caractérisation moléculaire des tumeurs permettra en effet de mieux les individualiser.
C’est aussi vrai pour la recherche, notamment la recherche thérapeutique ?
Paradoxalement, les tumeurs rares sont de bons modèles pour le développement de médicaments innovants, notamment pour les thérapeutiques ciblées. Elles sont en effet assez homogènes sur le plan moléculaire. Comme pour les maladies rares, les essais cliniques sont difficiles à mener en raison même de la rareté – les associations de patients jouent là aussi un rôle important – et les conditions d’enregistrement d’un nouveau médicament soulèvent des problèmes spécifiques. La directive européenne sur les maladies rares va dans le bon sens mais ne répond pas totalement aux spécificités des tumeurs rares, liées à leur vitesse d’évolution, qui peut mettre en jeu le pronostic vital à court terme ou à la toxicité des médicaments. Pour tenter de résoudre ces difficultés, une démarche s’est mise en place au niveau européen, qui associe la Commission européenne, des sociétés savantes, telle que la Société européenne d’oncologie médicale, des associations de patients, des politiques et des industriels. Au niveau français, le Cercle des tumeurs rares fait écho à la démarche européenne tout en s’inscrivant dans ce que propose l’INCa.
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