Voilà plusieurs années que la mise en place d’un programme de dépistage du cancer du poumon suscite des discussions en France. Et pour cause : environ un tiers des adultes restent actuellement fumeurs, et un autre tiers ont fumé dans le passé. De plus, de récentes études (essai Nelson, étude DEP-KP80) suggèrent l’intérêt, en termes de réduction de la mortalité, ainsi que la faisabilité d’un dépistage par scanner thoracique à faible dose (low dose CT, LDCT). Ainsi, en 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) avait recommandé le lancement d’un programme pilote, dont est chargé l’Institut national du Cancer (Inca).
Mais restait à définir au préalable la population à cibler. Des chercheurs ont modélisé l’effet du dépistage sur la population française en fonction de différents critères d’éligibilité, à travers une méthodologie en trois étapes.
D’abord, 14,86 millions d’individus de 50 à 80 ans ayant des antécédents de tabagisme, représentatifs de la population de fumeurs, ont été simulés à partir d’enquêtes nationales concernant notamment la prévalence du tabagisme dans le pays, ainsi que de données sur les facteurs de risque de cancer du poumon issues de la cohorte Constances. Puis une estimation du nombre de cas de cancer du poumon — mortels ou non — susceptibles de survenir pendant une période de cinq ans a été réalisée. Enfin, la réduction potentielle du nombre de décès par cancer du poumon a été modélisée selon quatre scénarios, chacun caractérisé par un ensemble de critères d’éligibilité différents :
- critères recommandés par l’US Preventive Task Force en 2013 (consommation de plus de 30 paquets-année [PA], abstinence depuis moins de 15 ans) ;
- critères recommandés par le même organisme américain en 2021 (consommation de plus de 20 Pa, abstinence depuis moins de 15 ans) ;
- critères utilisés dans l’essai Nelson (plus de 15 cigarettes par jour pendant plus de 25 ans ou plus de 10 cigarettes par jour pendant 30 ans, et abstinence de moins de 10 ans) ;
- critères identifiés après analyse personnalisée des risques (selon le modèle Plcom2012, déjà évalué en France) comme ayant un risque supérieur à 1,51 % à six ans.
Les résultats confirment que, quel que soit le scénario considéré, c’est-à-dire quel quels que soient les critères d’éligibilité choisis, proposer un dépistage du cancer du poumon aux individus à haut risque (soit de 2,4 à 4 millions d’individus, en fonction des critères retenus) permettrait bel et bien d’éviter un nombre significatif de décès : selon l’article, cette mesure permettrait de « prévenir plus de 10 000 décès par cancer du poumon en France sur cinq ans de dépistage » (1).
Stratégie fondée sur le risque
Mais le scénario qui permettait d’épargner le plus de vies était le dernier — autrement dit, celui centré sur une sélection des individus éligibles après analyse personnalisée des risques (stratégie fondée sur le risque). En effet, d’après la publication, cette stratégie « pourrait identifier 12 à 22 % de décès par cancer du poumon évitables supplémentaires par rapport aux (autres ensembles de critères) ». Seul bémol : dans ce scénario, étaient in fine ciblées des personnes plus âgées (de 5 à 6 ans), et ayant une espérance de vie de 4 à 6 ans de moins que les autres configurations.
Au contraire, les scénarios centrés sur des catégories d’exposition au tabac semblaient épargner moins de vies. Autrement dit, les critères fondés sur l’exposition au tabac pourraient sélectionner trop d’individus peu susceptibles de bénéficier du dépistage. Et une restriction des cibles à des catégories d’âge plus restreintes ([50-74], [55-80] et [55-74] ans) a donné « de plus faibles différences » entre scénarios centrés sur des catégories d’exposition au tabac d’une part, et sur l’estimation du risque d’autre part.
Au total, les auteurs considèrent que ces résultats pourraient bien permettre aux instigateurs du programme pilote de dépistage du cancer du poumon — et du programme de dépistage futur — de sélectionner de façon éclairée la population à cibler. De surcroît, selon eux, « la méthodologie de simulation et la modélisation de cette étude fournissent un cadre qui pourrait être appliqué dans d’autres pays, notamment en Europe, par les gouvernements qui souhaiteraient établir des programmes de dépistage du cancer du poumon. »
(1) Xiaoshuang Feng, Karine Alcala, Florence Guida, etc. Eligibility criteria for lung cancer screening in France : a modelling study. The Lancet Regional Health Europe. Volume 51 101 221. April 2025
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