Nouvelles pistes thérapeutiques

Quelles sont les stratégies d’avenir ?

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Publié le 07/03/2017
Pr Christophe Le Tourneau

Pr Christophe Le Tourneau
Crédit photo : NOAK

Les thérapies ciblées ont révolutionné le pronostic de certains sous-groupes de patients comme les patientes atteintes de cancers du sein surexprimant HER2. Étant donné que la majorité des cibles thérapeutiques sont présentes dans de multiples types tumoraux, la communauté scientifique s’est demandé si une classification moléculaire des cancers serait plus pertinente qu’une simple classification histologique. C’est le concept de médecine de précision.

Thérapie ciblée : très efficace pour une minorité de patients

Dans cet esprit, l’essai SHIVA01 coordonné par Pr Le Tourneau et mené à l’Institut Curie chez des patients atteints de tous types de cancers qui avaient échappé aux traitements standards, consistait à randomiser les patients entre une chimiothérapie utilisée dans ces cas-là et une thérapie ciblée basée sur le portrait moléculaire de leur tumeur du patient. L’essai n’a pas montré qu’administrer une thérapie ciblée en dehors de son indication sur la base du profil moléculaire de la tumeur était plus efficace que la chimiothérapie, même si des résultats encourageants ont été retrouvés dans un sous-groupe de patients traités par des thérapies ciblées ciblant les MAP kinases. Par ailleurs, pour les patients qui avaient eu les deux traitements (thérapie ciblée et chimiothérapie), l’analyse de l’efficacité en prenant donc les patients eux-mêmes comme leur propre témoin suggérait que l’approche de la médecine de précision ne devait pas être écartée. En effet, « chez près de 40 % de ces patients, la maladie avait été contrôlée au moins 30 % plus longtemps avec la thérapie ciblée qu’avec la chimiothérapie », explique le Pr Le Tourneau. Si les thérapies ciblées présentant un véritable biomarqueur moléculaire ont révolutionné la prise en charge des sous-groupes de patients concernés, elles ne sont efficaces que sur une faible proportion de patients. Ainsi, « une cinquantaine de thérapies ciblées sont commercialisées, la moitié sur la base d’une altération moléculaire, mais il n’y a qu’une dizaine d’altérations moléculaires que l’on prend en compte aujourd’hui en routine pour la pratique quotidienne (EGFR, Her2, ALK, BRAF…) ».

Par rapport à la chimiothérapie, leurs toxicités sont différentes et, malgré ce que l’on pouvait penser, il n’existait pas moins de toxicité graveavec les thérapies ciblées qu’avec la chimiothérapie dans l’essai SHIVA01. « En effet, il n’est pas rare de devoir diminuer les doses des thérapies ciblées pour cette raison ». Toutefois, les anticorps monoclonaux sont bien mieux tolérés que les autres thérapies ciblées du fait qu’ils sont extrêmement spécifiques.

Immunothérapie : éviter les résistances et développer les associations

Avancée thérapeutique considérable de ces dernières années, l’immunothérapie possède une efficacité durable, mais qui ne concerne que 10 à 15 % des patients dans la grande majorité des cancers. Ainsi, l’objectif est d’identifier à l’avance les patients qui seront longs répondeurs à une seule molécule d’immunothérapie et les 85 à 90 % des patients non répondeurs chez lesquels il va falloir trouver autre chose : associer deux immunothérapies, une immunothérapie à une chimiothérapie ou une thérapie ciblée ou à de la radiothérapie… « Aujourd’hui, on est probablement parti pour une dizaine d’années d’essais thérapeutiques associant l’immunothérapie anti-PD1 ou anti-PDL1 à tout le reste pour augmenter le nombre de patients longs répondeurs. Par ailleurs, on observe que les patients développent également des résistances à l’immunothérapie, comme ce qui est observé avec la chimiothérapie et les thérapies ciblées », révèle le Pr Le Tourneau. Ce qui soulève de nombreuses questions : « en combinant différentes approches, réussira-t-on à attaquer le cancer sous plusieurs angles et à éviter l’apparition de mécanismes de résistance ? Arrivera-t-on un jour à la trithérapie du cancer ? »

L’immunothérapie est aussi en cours d’évaluation à des stades plus précoces de la maladie comme en situation néoadjuvante ou en association avec une radiothérapie exclusive, notamment dans les cancers ORL. « En situation adjuvante, c’est plus délicat car pour relancer le système immunitaire, il faut une production suffisante d’antigènes par des cellules tumorales. Or en situation adjuvante, la maladie est infraclinique. Est-ce suffisant pour que l’immunothérapie puisse aller restimuler le système immunitaire ? » Lorsque notre médecine sera devenue plus précise, on pourrait imaginer que les traitements locaux deviendront des traitements de clôture pour les cancers avancés. Ainsi, « l’essentiel des cellules serait détruit par des traitements systémiques puis la maladie résiduelle serait ensuite traitée par chirurgie et/ou radiothérapie », décrit le Pr Le Tourneau.

Au total, la perspective la plus prometteuse aujourd’hui réside dans les associations. Si l’association d’immunothérapie avec une thérapie ciblée n’est pas toujours bien tolérée, « la stimulation du système immunitaire de deux façons, par deux immunothérapies, semble porteuse d’espoir ». Une piste très intéressante est également l’association de la chimiothérapie à l’immunothérapie, qui vient de démontrer sa supériorité en première ligne des cancers bronchiques par rapport à la chimiothérapie seule. 

Vers une meilleure caractérisation moléculaire…

L’important va être d’identifier à l’avance les patients répondeurs aux différents traitements. En effet, « grâce à la récente révolution technologique qui nous permet de séquencer l’ADN d’une cellule tumorale rapidement et pour un coût raisonnable, on peut aujourd’hui espérer caractériser la tumeur d’un point de vue moléculaire. Étant donné l’importance de l’environnement de la tumeur, il va falloir intégrer des paramètres du micro-environnement entre autres afin de pouvoir prédire le type de traitements à administrer, soit seuls soit en association », annonce le Pr Le Tourneau.

Ainsi, beaucoup d’essais internationaux portent sur la recherche des signatures de l’inflammation ou l’établissement du portrait moléculaire de la tumeur. C’est le cas de l’essai SHIVA02 qui va démarrer prochainement et qui est financé par la Fondation MSD Avenir. SHIVA02 reprend le rationnel de SHIVA01 mais se focalise sur le sous-groupe de patients avec une altération moléculaire de la voie des MAP kinases sur leur tumeur. Il est prévu également de traiter les patients par immunothérapie en fonction d’une signature de l’inflammation dans le cadre d’une sous-étude SHIVAimmuno. Chaque patient recevra les deux stratégies thérapeutiques (chimiothérapie et thérapie ciblée ou immunothérapie), chaque patient étant pris comme son propre témoin afin d’évaluer l’efficacité de l’approche. « L’objectif est d’avancer sur la caractérisation des tumeurs et de leur environnement pour essayer de prédire l’efficacité des traitements ». Les résultats sont attendus dans 3 ans. « La façon de lier les paramètres génomiques et immunologiques à un traitement spécifique constitue des algorithmes de traitement. On peut imaginer dans l’avenir que non seulement les médicaments permettront d’améliorer la survie des patients, mais également les algorithmes utilisés pour définir quels patients doivent recevoir quels traitements. »

D’après un entretien avec le Pr Christophe Le Tourneau (Institut Curie, Paris & Saint-Cloud)

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr