Immunothérapie

Quelles stratégies pour optimiser le traitement ?

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Publié le 18/09/2018
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Crédit photo : Phanie

Après l’arrivée des immunothérapies anti-PD1 et anti-PDL1 (pembrolizumab, nivolumab, atézolizumab) en monothérapie, les recherches se tournent vers les combinaisons. Les associations aux inhibiteurs de checkpoint PD1 se développent soit pour augmenter le taux de réponse chez les patients en première ligne, soit pour lever les résistances à l’immunothérapie chez les patients réfractaires.

Vers des associations chimio-immunothérapie ?

« On est vraiment dans l’ère des combinaisons doubles, voire des premières combinaisons triples. La tendance est d’associer la chimiothérapie aux anti-PD1. Aujourd’hui, le mieux en première ligne du cancer du poumon est l’association chimiothérapie et anti-PD1, voire un anti-PD1 seul chez les patients dont la tumeur exprime fortement le marqueur PDL1 », précise le Dr Aurélien Marabelle, médecin oncologue au sein du département d'innovation thérapeutique et d'essais précoces (ditep) à l’institut Gustave-Roussy (Villejuif), directeur clinique du programme d'immunothérapie et responsable d'une équipe de recherche au sein de l'unité INSERM U1015.

En effet, démontré in vitro et confirmé in vivo chez la souris, un rationnel préclinique montre que certaines chimiothérapies induisent une mort cellulaire capable de stimuler les cellules immunitaires. Le raisonnement est cependant différent avec le patient. « Il y a peut-être une mort immunogénique au début, mais, avec l’accumulation des cycles de chimiothérapie, cela devient toxique, et le taux de globules blancs chute (lymphopénie, neutropénie). S’il est rationnel de combiner la chimiothérapie à l’immunothérapie, il faut peut-être diminuer les doses de chimiothérapie ou le nombre de cycles. Cette réflexion devrait se développer… », estime le Dr Marabelle.

« D’autre part, poursuit-il, on sait que la chimiothérapie est à la fois immunogène et immunodépresseur. Elle est donc aussi potentiellement délétère pour la qualité de la réponse immunitaire antitumorale. » Si avec l’association pembrolizumab et chimiothérapie un bénéfice est observé (en taux de réponse, de survie sans progression (SSP) et de survie globale), la médiane de SSP est cependant déjà atteinte et plus de 50 % des patients ont rechuté après moins d’un an de suivi. La plupart des patients ne tiennent pas leurs réponses. « Dans 3 ans, avec des données plus matures, on se rendra peut-être compte que la survie chute, et qu’en associant deux immunothérapies on obtient un meilleur plateau (au niveau de la courbe de survie), postule le chercheur. En effet, avec l’association anti-PD1 (nivolumab) et anti-CTLA4 (ipilimumab), la médiane de SSP n’est pas encore atteinte et plus de 50 % des malades n’ont pas progressé, selon les données présentées lors du congrès de l’AACR. L’objectif serait de ne plus utiliser de chimiothérapie et de s’orienter vers des combinaisons de deux immunothérapies. »

Apprendre à gérer les toxicités et le risque d’hyperprogression

La combinaison anti-PD1 et anti-CTLA4 s’avère cependant très toxique, souligne le Dr Marabelle : « Si en monothérapie les toxicités de grades 3 et 4 sont de 15 à 20 % avec les anti-PD1 et de 25 % avec les anti-CTLA4, elles peuvent atteindre 55 % lorsqu’on combine les deux immunothérapies. Il s’agit de la même nature de toxicités, mais l’incidence augmente. » En effet, plus les toxicités sont importantes, plus le traitement est efficace : « Les taux de réponses observés sous anti-PD1 en monothérapie sont de 80 % chez les patients avec trois toxicités, contre 20 % chez les patients avec au maximum un effet indésirable. » Cependant, la plupart des toxicités sous immunothérapie sont réversibles, gérables et n’occasionnent que rarement des décès toxiques. « En collaboration avec les spécialistes concernés, nous apprenons à gérer ces toxicités, assure le Dr Marabelle. Par exemple, les endocrinologues nous préconisent d’arrêter de donner des corticoïdes en cas de toxicités endocriniennes, comme le diabète ou l’hypothyroïdie. »

Par contre, quelques patients sous immunothérapie présentent un effet paradoxal : la maladie s’accélère au lieu de répondre. « Il s’agit d’une hyperprogression qui se produit au début du traitement. Cela a déjà été décrit pour d’autres biothérapies, comme les anti-TNF alpha dans la polyarthrite rhumatoïde. » Actuellement, l’objectif est de mieux en comprendre les mécanismes : Chez quels patients est-ce observé ? Cela vient-il de l’hôte ou de la tumeur ?

« Il faut donc être très vigilant quand on commence l’immunothérapie. Des biomarqueurs avec une valeur prédictive négative seraient nécessaires pour pouvoir identifier le patient susceptible de progresser rapidement. L’idéal serait aussi de réaliser des scanners plus précocement, un mois après le début du traitement, plutôt que d’attendre deux ou trois cycles avant d’évaluer. »

Des biomarqueurs fiables ?

Un nouveau biomarqueur, tumor mutation burden (TMB), cristallise l’attention des spécialistes. Il correspond aux nombres de mutations génomiques présentes au sein de l’ADN tumoral. « Beaucoup de données nous montrent qu’il joue un rôle, mais pas comme nous l’attendions… Au début, relate le Dr Marabelle, nous pensions que l’existence de mutations dans la cellule cancéreuse favorisait l’apparition de protéines anormales, donc l’immunogénicité de la cellule tumorale, puis par conséquent la présence de lymphocytes T dans la tumeur, de PDL1 et d’interféron gamma. En réalité, on distingue aujourd’hui deux aspects indépendants : d’un côté la charge mutationnelle tumorale, facteur pronostique de réponse à l’immunothérapie, et de l’autre trois éléments liés que sont l’infiltrat T, PDL1 et l’interféron gamma. » La sélection de patients fortement inflammatoires avec de nombreuses mutations (TMB élevé) et beaucoup d’interféron gamma augmente le taux de réponse (de 20 % à 40-50 %). Cependant, si ces patients répondent très bien (80 % de réponses objectives), ils ne sont qu’une minorité.

« Les biomarqueurs ne sont pas complètement satisfaisants. À l’échelle individuelle, nous ne sommes pas capables d’évaluer de façon robuste si le patient sera répondeur ou non. Peut-être faudra-t-il des combinaisons de biomarqueurs comme TMB et PDL1 ? », s’interroge le chercheur. Mais, dans ce cas, le nombre de patients concernés devient très restreint…

D’autre part, « au lieu de rechercher des valeurs prédictives, nous pourrions aussi commencer le traitement, puis en évaluer très précocement la réponse (scanner, biopsie à 15 jours…) ».

Combiner différentes molécules, apprendre à gérer les risques, améliorer l’utilisation des biomarqueurs pour mieux prédire la réponse…, autant de pistes à suivre pour optimiser le traitement par immunothérapie.

D’après un entretien réalisé lors du congrès de l'ASCO avec le Dr Aurélien Marabelle, médecin oncologue au sein du département d'innovation thérapeutique et d'essais précoces (ditep) à l’institut Gustave-Roussy (Villejuif), directeur clinique du programme d'immunothérapie et responsable d'une équipe de recherche au sein de l'unité INSERM U1015

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr