« La pédiatrie reste globalement un domaine insuffisamment couvert en termes de développement, les efforts étant concentrés sur les adultes, précise le Pr Gilles Vassal (Gustave Roussy, Villejuif). Certaines avancées ne sont donc pas accessibles aux enfants, en raison du faible nombre d'essais cliniques et demandes d'AMM en oncopédiatrie, même pour des molécules ayant fait leurs preuves chez l'adulte. De plus, de nombreuses tumeurs pédiatriques sont rares, voire inexistantes chez l'adulte. Des enfants, en échec de traitement et n'entrant dans aucun essai clinique en cours, sont donc traités au cas par cas par des anticancéreux innovants non agréés en pédiatrie, voire chez l’adulte, mais autorisés par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en accès compassionnel ou précoce ». Ainsi, avec le démembrement des tumeurs, de nombreuses thérapies ciblées, non encore agréées, peuvent dans ce contexte être envisagées.
Sécuriser l'accès aux traitements innovants
Cependant, on manquait jusqu'ici de données sur ces traitements hors AMM, en termes d'efficacité et de sécurité. « En 2020, pour sécuriser l’accès aux thérapies innovantes hors essais cliniques, la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l'enfant et de l'adolescent (SFCE), en collaboration avec l'ANSM, a lancé une étude prospective nationale dédiée à ces traitements d'oncopédiatrie off label », explique l’oncologue pédiatrique. Il s'agit de l'étude SACHA (Secured Acces to innovative medicines for children with cancer), pilotée par Gustave Roussy. « Les résultats montrent la faisabilité d'une telle approche, et nous apportent les premières données de sécurité et efficacité de ces thérapies ciblées en oncopédiatrie », ajoute le Pr Vassal, qui a présenté l’étude à l'ASCO (1).
De premiers résultats sur près de 300 jeunes patients
« L'étude multicentrique SACHA, associant 32 centres anticancéreux français, collige tous les patients de moins de 25 ans traités en oncopédiatre par biothérapie, hors AMM. Elle recueille les données d'efficacité et de toxicité en vie réelle. C'est un important progrès par rapport au manque de données dans ce domaine, avant la mise en place de l'étude », souligne le Pr Vassal. Et SACHA ne s'arrête pas là ! Si des signaux d'efficacité objective sortent, nous essayerons de monter rapidement un essai clinique pour évaluer cette activité. D'un autre côté, la remontée de toxicités peut justifier une recommandation d'arrêt des prescriptions ».
Depuis le lancement de l’étude en 2020, 283 patients de 11 ans d'âge médian (de 3 mois à 24 ans) avaient été traités en février 2022. Parmi eux, près de la moitié souffrait d'une tumeur du système nerveux central (SNC : 47 %), un sur dix d'une leucémie (13 %), et un sur quatre d'une tumeur solide hors SNC.
Confirmation de l’activité du trametinib
« Du côté des thérapies, environ une cinquantaine de molécules innovantes ont été prescrites à l'issue d'une réunion de concertation multidisciplinaire. Parmi elles, six concernent plus de 10 patients et sont associées à des réponses objectives et des données de sécurité utilisables », relève le Pr Vassal. Il s'agit du trametinib (64 patients inclus, taux de réponse [RR] de 9/40 patients évaluables), de l'association trametinib-dabrafenib (n = 36, RR : 11/20), du pazopanib (n = 16, RR : 3/12), du cabozantinib (n = 16, RR : 0/12), du regorafenib (n = 15, RR : 0/9) et du tazemefostat (n = 14, RR : 1/14).
« Concernant l’activité, SACHA vient confirmer en vie réelle l'intérêt du tramétinib. Présentés à l'ASCO cette année, les résultats de phase 2 du tramétinib, associé en première ligne au dabrafenib, mettent en évidence une activité très intéressante (versus carboplatine-vincristine) dans les gliomes de bas grade porteurs de la mutation BRAF V600 (2). Mais à notre grand regret, malgré ses résultats, le laboratoire n'a toujours pas à ce jour déposé de demande d'AMM en pédiatrie… », commente le Pr Vassal. Quant aux toxicités observées, elles étaient superposables à celles attendues. « Nous n'avons donc pas eu jusqu'ici de mauvaise surprise, indique le Pr Vassal. Un point rassurant même si le nombre limité de cas n'autorise pas de conclusions définitives ».
Vers une internationalisation de l’étude
« En 2023, l'étude devrait s'internationaliser, projette le Pr Vassal. Plusieurs pays se sont en effet montrés très intéressés par cette approche ». Aux 32 centres anticancéreux français traitant des enfants, il devrait venir s'ajouter l'année prochaine des centres issus de huit pays européens, d’Australie et de Nouvelle Zélande. « Cette internationalisation devrait permettre d'accélérer la recherche de traitements anticancéreux innovants, pour les jeunes patients en échec. Nous espérons ainsi, à l'avenir, de réels bénéfices pronostiques pour nos petits patients », conclut le Pr Vassal.
(1) Securing access to innovative anticancer therapies for children, adolescents, and young adults outside clinical trials: The SACHA study of the French Society of Pediatric Oncology (SFCE). Oral abstract n°10006, Lundi 6 juin 2022 ASCO 2022
(2) E Bouffet et al. Primary analysis of a phase II trial of dabrafenib plus trametinib (dab + tram) in BRAFV600–mutant pediatric low-grade glioma (pLGG). LBA2002 Oral Abstract Session, ASCO 2022
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