Thérapeutiques innovantes

Quels sont les enjeux de l’évolution de l’immunothérapie ?

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Publié le 08/11/2017
Blay

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Crédit photo : La Tribune

Les études présentées à Madrid lors de l’édition 2017 du congrès de l’European Society for Medical Oncology (ESMO) changent les pratiques dans différents domaines, notamment en raison de l’explosion de l’immunothérapie qui s’applique dorénavant à presque tous les cancers (pulmonaires, sarcome, vessie, rares, gastro-œsophagiens…). De plus, l’immunothérapie laisse espérer une guérison chez certains patients. En effet, « les plateaux de survie avec l’immunothérapie sont très longs, ce qui fait penser qu’un certain nombre de patients sont guéris en phase métastatique, notamment les patients qui atteignent une réponse complète (1) », explique le Pr Blay. Au regard de cette évolution de l’immunothérapie, quels sont les enjeux à venir pour la poursuite de son développement et l’optimisation des bénéfices apportés aux patients ?

Reconsidérer l’accès au traitement

La question du coût du traitement devient centrale. En effet, « le coût doit être considéré différemment lorsqu’un traitement augmente de 5 mois la médiane de survie et pour des traitements qui font passer le taux de survie à long terme de 1 % à 10 %. La question des longs survivants est plus importante que le pourcentage de vivants à 3 ou 6 mois. C’est sur ce point que doit porter notre attention ».

La France accuse un retard dans l’accès à certains traitements innovants par rapport aux autres pays de l’Union européenne. « On risque de pénaliser des traitements innovants qui permettent de gagner en survie sans se poser la question des traitements acceptés depuis des années mais qui ne peuvent pas toujours se prévaloir de tels gains en survie. Aujourd’hui, certains traitements d’immunothérapie ne sont pas remboursés (ce qui constitue un blocage pour la prescription dans des hôpitaux qui doivent équilibrer leurs budgets) alors qu’ils ont démontré un gain en survie (exemple, ramucirumab, pembrolizumab en 1ère ligne des cancers bronchiques). Il y a ainsi un risque d’iniquité interétablissements et certains malades peuvent décider d’aller se faire traiter à l’étranger ». Un risque à plus long terme serait que les médecins français n’acquièrent pas l’expérience de l’utilisation du traitement, et se retrouvent pénalisés lorsque ces traitements sont des critères d’inclusion pour la participation aux essais cliniques actuels. « Il faut être vigilant à maintenir l’historique français qui est celui de mettre à disposition très rapidement l’innovation pour tous, notamment lorsque des gains en survie sont observés ; de trop longs délais sont observés désormais », indique le Pr Blay.

À la recherche des combinaisons d’avenir

Incarnant les perspectives d’avenir, les combinaisons d’immunothérapie ont également fait l’objet de nombreuses études lors de l’ESMO. Mais quelles combinaisons proposer ? Chez quels patients ? « Les progrès seront forcément à travers les combinaisons mais il nous appartient de déterminer quelle fraction de patients pourra bénéficier de ces traitements. C’est un travail colossal qui nous attend, basé sur des essais cliniques et une bonne compréhension biologique de la maladie. Il nous faudra trouver des critères biologiques prédictifs pour comprendre quels patients sont de bons candidats à tel type de traitement. Parmi ces critères, nous connaissons déjà la charge mutationnelle, l’expression de PDL1, les infiltrats lymphocytaires… Cependant, il sera nécessaire de déterminer les patients réfractaires primaires (sans aucune réponse au traitement d’immunothérapie) et les patients réfractaires secondaires. Pour les patients sans critères prédictifs, il faudra aussi développer des combinaisons ».

« Quant aux triples combinaisons, elles ne sont pas envisageables pour tous en raison des interactions médicamenteuses, même si celles-ci concernent potentiellement davantage les petites molécules éliminées par le foie que les anticorps, et les toxicités des associations. Cependant, il faut une compréhension rigoureuse de ce qui se passe au niveau biologique. En effet, il existe une hétérogénéité à la fois spatiale et temporelle. Par exemple, un mécanisme de résistance peut être mis en jeu que dans certains endroits mais nous ne savons pas le déterminer (faute de pouvoir biopsier les patients en de multiples endroits). Il faut une compréhension biologique plus fine que celle que nous avons actuellement des mécanismes de résistance primaire ou secondaire pour mieux développer ces combinaisons. Ce sera peut-être à l’avenir des stratégies très individualisées. Pour l’instant, on est encore dans une approche exploratoire ».

L’exploration des combinaisons radio/chimio/immunothérapie fait également partie des perspectives d’avenir. « On pourrait peut-être ainsi éduquer le système immunitaire car la mort par radiothérapie est reconnue pour être inductrice de réponse immunitaire », indique le Pr Blay. D’autres pistes comme l’utilisation d’ultrasons à haute fréquence ou le recours aux nanoparticules, sont aussi à l’étude.

Un intérêt croissant pour les cancers rares

Si les tumeurs rares ne représentent que 20 % des cancers, elles sont à l’origine de 30 % de la mortalité par cancer. « Il existe donc un excès de mortalité liée aux cancers rares de par leur gravité et la méconnaissance que nous en avons. Une des études françaises a montré que les patients atteints de cancers rares vivent mieux lorsqu’ils sont pris en charge dans les centres de référence. Cependant, toutes les tumeurs rares ne pourront pas être traitées à proximité du domicile des patients », précise le Pr Blay.

Si les centres de références des maladies rares fonctionnent bien, les instances européennes ont également mis en place trois réseaux pour les cancers rares dans le cadre du projet « EURACAN » : en pédiatrie, dans les tumeurs du sang et pour les cancers rares solides de l’adulte (dont s’occupe le Pr Blay). « On voit apparaître un intérêt croissant sur ces pathologies rares (thymomes, sarcomes, tumeurs digestives, cérébrales ou ORL rares) et on commence aussi à s’intéresser à l’immunothérapie chez celles-ci. Les cancers rares sont également des modèles intéressants pour la médecine de précision car ils sont souvent très homogènes sur le plan moléculaire et disposent, peut-être plus que les cancers fréquents, d’anomalies moléculaires actionnables pour la thérapeutique ».

D’après un entretien avec le Pr Jean-Yves Blay, directeur général du centre Léon Bérard de Lyon, lors du congrès de l’ESMO
(1) Robert C. et al. Characterization of complete responses in patients with advanced melanoma who received the combination of nivolumab and ipilimumab, nivolumab or IPI alone. Présentation orale ESMO 2017 (Abstr 1213O).

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr