LE QUOTIDIEN : Qu'est-il ressorti du premier comité de suivi qui s'est tenu sous l'égide de la Première ministre Élisabeth Borne et en présence de François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention, et Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ?
THIERRY BRETON : Le bilan est très satisfaisant. Le niveau d'avancement est conforme à ce qui était prévu, avec un lancement rapide sur les deux premières années et 115 actions commencées sur les 234 que compte la stratégie, dont 16 ont été finalisées. En 2023, ce sont trois quarts des actions qui devraient avoir été initiées, avec 51 nouvelles actions. Seuls quelques retards de calendrier sont à noter, mais aucune action n'est bloquée.
Le comité a permis de donner une nouvelle impulsion à la stratégie, dont le fil rouge est l'amélioration du service rendu au quotidien pour les patients, les soignants et l’ensemble de nos concitoyens. Des accélérations sont prévues sur un certain nombre d'aspects, en particulier dans le champ de la prévention.
Le comité a mis en évidence notre capacité collective à s'adapter et à réévaluer les priorités, alors que la stratégie s'inscrit dans le temps long. Une telle réunion aura lieu une fois par an et une évaluation à mi-parcours est prévue en 2025.
Quelles sont les mesures phares déjà mises en œuvre ?
Un réseau de recherche en prévention primaire a déjà été mis en place avec des objectifs concrets visant à mieux connaître les facteurs de risque de cancer et à construire des interventions de prévention efficaces au plus près des personnes.
Autre avancée majeure : depuis juin, le délai pour le droit à l'oubli est passé de dix à cinq ans pour tous les patients qui ont eu un cancer et le questionnaire médical a été supprimé pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros et dont le terme intervient avant le 60e anniversaire de l'emprunteur.
Nous avons aussi accompagné le développement de l'activité d'oncogénétique, avec un renforcement des moyens pour les consultations, alors que nous avons une meilleure connaissance des prédispositions génétiques. Le financement des tests fait par ailleurs l'objet de discussions afin de faire évoluer le dispositif du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) auquel ils sont soumis et de les faire entrer éventuellement dans le droit commun.
En vue de faciliter l'accès au dépistage organisé du cancer colorectal, les kits peuvent être commandés en ligne depuis mars sans consultation préalable, alors qu'ils pouvaient jusque-là être obtenus uniquement via un médecin. Ce nouveau service connaît un très bon démarrage. Depuis novembre, les kits peuvent également être remis en pharmacie ; le déploiement s’opère au fur et à mesure sur l’ensemble du territoire. Le dépistage est un volet important de la stratégie qui va faire l'objet d'une feuille de route avec des objectifs clairs.
Quels sont les principaux objectifs en matière de dépistage ?
Alors que les taux de participation aux programmes de dépistage organisé sont très faibles, le déploiement de stratégies d'aller vers est essentiel pour convaincre les personnes les plus éloignées du système de soins de participer. En ce sens et à la demande du ministre de la Santé, c'est désormais l'Assurance-maladie qui sera chargé d'envoyer les invitations aux assurés et non plus les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Ils pourront se consacrer davantage à des tâches à plus haute valeur ajoutée, comme des interventions au plus près des citoyens.
Des réflexions vont aussi être menées autour d'un éventuel programme de dépistage organisé du cancer du poumon. Un programme pilote est en cours d’élaboration.
Dans le champ de la prévention, grand défi du second quinquennat d'Emmanuel Macron, quelles autres actions majeures sont prévues ?
L'objectif est de donner corps au principe « La santé dans toutes les politiques ». Nous allons créer un « club » pour rassembler les collectivités territoriales et réfléchir concrètement à ce qui peut être fait en termes d'actions sociales. Par exemple, un plan « zéro exposition » va être lancé dans les établissements scolaires, de la maternelle au lycée, afin de réduire les facteurs de risque, que ce soit en termes d'alimentation ou d'environnement, dans les lieux d'apprentissage. Nous allons aussi travailler avec les entreprises pour que celles qui le souhaitent soient promotrices de santé.
En France, nous manquons d'un dispositif d’identification des actions de prévention régionales probantes. À l'aide d'un programme doté de 50 millions d'euros, nous allons donc en construire un afin d'identifier les actions qui pourront être déployées au niveau national.
Un nouveau programme de lutte contre le tabac va par ailleurs être lancé cette année, le tabagisme étant de loin le facteur de risque le plus important, à l'origine de 45 000 décès par cancer par an. Un plan national de réduction de la consommation excessive d'alcool est également prévu.
Au-delà de la stratégie « zéro exposition » dans les écoles, quelle est la place accordée aux questions environnementales ?
En tant qu'agence scientifique, notre mission première à l'Institut national du cancer (Inca) est la recherche : nous œuvrons à déterminer les expositions en cause dans la survenue de cancer avec d’autres agences sanitaires comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). C'est un travail de titan, car la démonstration scientifique d'un lien entre l'exposition à une substance donnée et le risque de cancer prend du temps, et celle des effets cocktail encore plus. Nous en connaissons d'ailleurs encore peu. Un effet cocktail est cependant bien identifié : l'exposition au radon et au tabac multiplie par plus de deux le risque de cancer.
Un programme de recherche sur la notion d'exposome a aussi été annoncé par Sylvie Retailleau lors du comité de suivi. Il s'agit de l'ensemble des expositions perçues par un individu tout au long de sa vie.
Mais nous ne pouvons pas attendre les réponses de la science. Ce n'est pas parce que nous ne savons pas tout des expositions que nous ne pouvons pas chercher d'ores et déjà à les réduire, notamment en impliquant les collectivités territoriales et en informant la population.
L'oncopédiatrie est aussi au cœur de la stratégie. Quelles actions ont été engagées dans ce domaine ?
L'un des enjeux dans les cancers de l'enfant relève de la structuration de la recherche. En ce sens, nous avons notamment lancé un appel à projets pour organiser et financer des centres d'excellence en oncopédiatrie en France. Notre objectif est très clairement de changer la donne en faisant ce qui se fait de mieux au niveau international. Le programme va être doté de 12 millions d'euros pour financer trois centres de recherche et leur permettre de mener des projets ambitieux.
Nous sommes par ailleurs les deuxièmes au monde, après les États-Unis, à avoir mis en place des appels d'offre de type « High Risk-High Gain ». Ils visent à favoriser des projets disruptifs et porteurs d’innovation, mais dont la maturité n’est peut-être pas suffisante pour être retenu dans les grands appels à projets. Nous avons commencé par la pédiatrie, mais d'autres appels de ce type sont prévus dans d'autres champs de la cancérologie.
Nous allons aussi lancer prochainement une action qui vise à mobiliser et à faire venir les meilleurs chercheurs d'autres pays, qu'ils soient étrangers ou français vivant à l'étranger, afin de porter des projets innovants en France, avec une dotation de 1,5 million d'euros.
En 2023, quels autres chantiers vont voir le jour ?
De nouveaux équipements IRM et de mammographie seront financés pour accroître à la fois la qualité des examens et leur disponibilité, afin de réduire les délais d'accès, à l'aide d'un budget de 30 millions d'euros sur deux ans. La numérisation des données anatomopathologiques est également prévue.
Une feuille de route dédiée à la reconstruction mammaire doit être définie pour répondre aux difficultés d'organisation, de parcours et de reste à charge et favoriser l'accès à cette pratique lorsque les femmes concernées le souhaitent.
L'activité physique adaptée (APA) doit aussi être renforcée. Il existe aujourd'hui un forfait mais qui peine à être déployé. L'APA est une priorité du ministre de la Santé qui a fixé un nouvel objectif : permettre à 100 000 patients de bénéficier d'un bilan fonctionnel et motivationnel. C'est un changement d'ampleur significatif.
Enfin, les départements d'outre-mer (Drom), qui font face à des défis spécifiques, vont faire l'objet d'une attention particulière, avec une feuille de route dédiée.
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