Comment assurer la continuité des soins des patients atteints de cancer tout en limitant les risques de propagation du virus SARS-CoV-2 ? Sept grands centres européens de lutte contre le cancer*, réunis au sein du consortium Cancer Core Europe (CCE), se sont livrés à un partage d'expérience dans « Nature Medicine » (1).
« L'objectif était d'apprendre les uns des autres mais aussi de proposer des solutions utiles à l'ensemble de la communauté médicale », indique au « Quotidien » le Pr Fabrice Barlesi, co-auteur de l'étude, oncologue et directeur médical de Gustave Roussy (Villejuif).
Dès le 24 mars, le CCE a collecté des données afin de comparer les stratégies mises en œuvre dans les différents centres. « Nous nous sommes beaucoup appuyés sur l'expérience de nos confrères en Asie et sur la prise en charge des patients atteints de cancer dans un contexte d'autres infections, précise le Pr Barlesi. Et les sociétés savantes françaises ont rapidement publié des lignes directrices pour un grand nombre de tumeurs, tout comme l'European Society for Medical Oncology (ESMO) et l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) ». En termes organisationnels, le ministère de la Santé et les agences régionales de santé (ARS) fournissent régulièrement des directives.
Dépistage des patients à risque
Plusieurs consensus ont émergé des diverses stratégies. À commencer par la nécessité de protéger les patients d'une éventuelle infection au SARS-CoV-2 en privilégiant dans la mesure du possible les téléconsultations et en limitant les visites à l'hôpital.
Lorsqu'une consultation en présentiel est nécessaire, les patients sont interrogés afin qu'une éventuelle infection Covid-19 soit prise en charge avant leur venue. Des contrôles de la température sont effectués à l'entrée des établissements, et les mesures de protection individuelle comme le port du masque ont été adoptées.
« Un diagnostic par PCR est effectué pour les patients à risque, notamment ceux qui présentent des symptômes ou avant la réalisation de certains gestes, comme les chirurgies ORL qui peuvent particulièrement contribuer à la propagation du virus », détaille le Pr Barlesi. Les capacités diagnostiques peuvent toutefois diverger d'un centre à l'autre.
Décaler certains traitements
Des unités dédiées aux patients Covid-19 ont également été installées pour éviter les contacts avec les autres malades, soit au sein même des établissements soit dans d'autres structures.
Certaines opérations et traitements ont par ailleurs pu être reportés sur décision collégiale, dès lors que cela n'entraînait pas de risque. « C'est le cas pour certains traitements réguliers dont la demi-vie est suffisamment longue pour permettre de retarder l'administration suivante d’une à trois semaines », illustre le Pr Barlesi, précisant que les services s'organisent désormais pour prendre en charge ces patients dont le traitement a été décalé.
Les traitements médicaux qui entraînent un risque d'aplasie important comme certaines chimiothérapies ou les greffes en hématologie ont également été décalés ou bien adaptés pour réduire le risque d'infection sévère en cas de contamination.
« Néanmoins, à ce stade et malgré toutes les précautions prises, nous ne pouvons pas affirmer qu'il n'y a pas de perte de chance pour les patients. L'évolution de la mortalité dans les mois à venir nous le dira », reconnaît le Pr Barlesi. Si selon lui, la perte de chance est minime pour les patients déjà suivis, il craint davantage pour les personnes présentant des symptômes néoplasiques mais qui n'ont pu intégrer les filières diagnostiques. « C'est pourquoi nous appelons toute personne présentant des symptômes à contacter un médecin pour que leur prise en charge ne soit pas retardée. Un numéro dédié a été mis en place à Gustave Roussy [01 42 11 43 77] », souligne l'oncologue.
Tests sérologiques pour tous les patients
En termes d'accès au traitement dans le cadre d'essais cliniques, les modalités varient d'un pays à l'autre. « En France, la décision a été prise de monter nos propres essais cliniques pour pouvoir traiter les malades et évaluer toutes les molécules d'intérêt, en particulier chez les patients atteints de cancer et de Covid-19, pour lesquels le risque de forme grave semblait plus important », rapporte le Pr Barlesi.
Concernant les tests sérologiques, les centres du CCE les recommandent pour mieux protéger patients et soignants. « À Gustave Roussy, nous allons réaliser ce type de dépistage auprès de tous les patients dès que les tests validés seront disponibles. L'objectif est notamment d'identifier les patients séropositifs, donc a priori protégés, et ceux séronégatifs et non porteurs du virus, afin de suivre leur évolution », note le Pr Barlesi.
*Gustave Roussy (France), Netherlands Cancer Institute (Pays-Bas), Karolinska Institute (Suède), Cambridge Cancer Centre (Royaume-Uni), Istituto Nazionale dei Tumori di Milano (Italie), German Cancer Research Center (Allemagne) et Vall d’Hebron Institute of Oncology (Espagne)
(1) J. van de Haar al., Nat Med, https://doi.org/10.1038/s41591-020-0874-8, 2020.
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