Ce test repose sur les travaux de recherche entrepris depuis 1991 par le Pr Edgardo Carosella, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de l’hôpital Saint-Louis, sur la molécule HLA-G (Human leukocyte Antigen). Impliqué dans la tolérance du système immunitaire et exprimé uniquement pendant la grossesse, HLA-G permet au fœtus de ne pas être considéré comme un corps étranger et attaqué par le système immunitaire.
HLA-G, à l’origine de la défaillance du système immunitaire face aux tumeurs
Cependant, l’expression de HLA-G est retrouvée dans certaines pathologies comme dans les organes transplantés et les cellules tumorales. Lors d’essais réalisés dans les greffes cardiaques avec le Pr Alain Carpentier à l’hôpital Broussais, le Pr Edgardo Carosella constate que « l’expression d’HLA-G chez l’organe greffé produit une diminution significative du nombre d’épisodes de rejets aigus et une absence totale de rejets chroniques ».
De plus, avec HLA-G, les cellules tumorales peuvent se protéger du système immunitaire, se développer et récidiver. « HLA-G s’exprime au niveau des cellules tumorales dans tout type de cancers. Cette expression est de plus en plus importante avec l’évolution du stade de la maladie et en rapport avec un mauvais pronostic. HLA-G est un check point immunologique majeur qui peut interagir avec 3 récepteurs (ILT2, ILT4 et les KIR2DL4) et ainsi inhiber la réponse immune à tous les niveaux », explique le chercheur.
Taux de CD8 ILT2 : un marqueur prédictif de récidive
Les Pr Edgardo Carosella et François Desgrandchamps, chef du service urologie à l’hôpital saint-Louis, ont analysé l’expression de HLA-G dans les cancers de la vessie. « Une étude très complète chez l’homme a été réalisée dans les tumeurs de vessie car elles possèdent une composante immunologique très forte », révèle le Pr Carosella. « Les tumeurs de la vessie non infiltrant le muscle (à l’étude dans cet essai) sont très fréquentes. De plus, malgré un suivi identique, les récidives sont variables selon les patients et nous avons très peu de critères prédictifs de récidive », ajoute le Pr Desgrandchamps.
« Au départ, on cherchait une caractéristique du système immunitaire permettant de différencier les malades qui allaient récidiver ou non. Un énorme travail de laboratoire a été réalisé pour préciser le profil immunitaire de chaque patient et le mettre en relation avec son histoire naturelle. Finalement, un facteur s’est révélé prédictif de la récidive : le pourcentage de CD8 portant le récepteur inhibiteur ILT2 », poursuit l’urologue. « Cette étude a été réalisée sur une première cohorte d’une centaine de malades puis confirmée sur une deuxième cohorte de patients avec une analyse immunitaire plus étroite centrée sur CD8 ILT2. En fonction du taux de CD8 ILT2, on était capable de prédire, avec une très forte sensibilité, qui allait ou non récidiver. En effet, quand le taux de CD8 ILT2 est important, la tumeur n’est pas reconnue par le système immunitaire, alors que quand il est faible, la tumeur est reconnue et détruite ». Ainsi, un taux d’ILT2 en dessous de 20 % correspond à un faible risque de récidive alors qu’au-dessus de 40 %, le risque est important.
En pratique, « le but de ce test est de pouvoir individualiser le type de surveillance. Les patients à haut risque de récidive seront soumis à des examens réguliers alors que les autres auront une surveillance allégée. À l’hôpital Saint-Louis, grâce au Pr Sophie Caillat Zucman (service d’immunologie et d’histocompatibilité), ce test est aujourd’hui mis en routine auprès des malades, 3 ou 4 ans après le début des recherches ».
Ainsi, ce test aujourd’hui breveté est utilisé dans les services d’urologie en Espagne et nécessiterait à l’avenir une évaluation à plus grande échelle dans différents types de tumeurs.
Vers de futures voies d’exploration…
Concernant HLA-G, d’autres questions se posent au chercheur et à l’urologue. « On cherche à comprendre le mécanisme pour éventuellement le bloquer. Quel précurseur induit par la tumeur permet de stimuler l’expression d’ILT2 sur les CD8 ? D’autres facteurs externes interviennent-ils ? Les lymphocytes CD8 ILT2 correspondant à des cellules épuisées, comment pourrait-on les restimuler ? ».
Au-delà du test prédictif, l’objectif serait aussi d’investiguer l’aspect thérapeutique. « Théoriquement, des anticorps anti-HLAG pourraient bloquer l’expression d’HLAG sur la tumeur afin que le système immunitaire puisse reconnaître la tumeur et la détruire. Les travaux sont en cours concernant le développement d’anticorps monoclonaux, de façon à pouvoir ensuite tester chez l’homme l’activation endovésicale d’anticorps dans la vessie. On voudrait profiter de la voie endovésicale pour pouvoir appliquer les anticorps anti-HLAG et éviter la potentielle toxicité de la voie systémique ».
D’autres pistes de recherche passionnantes sont également à l’étude, comme l’hétérogénéité spatiale dans les cancers. « Une tumeur est une multitude de zones différentes avec au même moment différents fronts. Le travail actuel est de caractériser le contenu cellulaire immunitaire de différentes zones dans la tumeur du rein pour connaître les multiples forces en présence. On veut ensuite arriver à modéliser pour comprendre la stratégie cellulaire, de façon à pourvoir agir où il faut ».
Cependant, afin de poursuivre ces projets et cette collaboration exemplaire entre la recherche translationnelle et l’application en pratique clinique, le laboratoire est actuellement en quête de financement.
D’après les interviews des Pr Edgardo Carosella, directeur de recherche au CEA, et François Desgrandchamps, chef du service urologie à l’hôpital Saint-Louis
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