Par le Pr MARC POCARD *
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - L’ascite maligne est-elle une véritable entité ou recouvre-t-elle de multiples situations ?
Pr MARC POCARD - Il existe en fait de multiples causes et de multiples situations au cours desquelles une ascite maligne peut survenir. Le traitement va donc dépendre de la nature de la tumeur en cause et du mécanisme de constitution de cette ascite. Bien sûr, il s’agit le plus souvent d’une carcinose péritonéale et donc d’un pronostic très réservé. Mais, pour certains patients, l’ascite est passagère et peut diminuer, voire disparaître, sous traitement : il va donc falloir trouver, chez ces malades, un traitement pour une longue durée. À l’inverse, dans d’autres cas, l’ascite survient en fin de vie.
Finalement, cette ascite peut donc correspondre à diverses situations et ne pas toujours signifier un décès très rapide ?
Oui, cette collection liquidienne dans l'abdomen, dans cet espace clos entouré par le péritoine, a de multiples causes. Elle se distingue de l'hémopéritoine, qui est un épanchement de sang, et qui peut lui aussi survenir au cours de l'évolution d'un cancer. La greffe de cellules cancéreuses sur le péritoine aboutit à de véritables masses tumorales, la carcinose, d'où s'échappe un liquide riche en protéines (plus de 20 g/litre) qui contient des cellules cancéreuses. Dans ces formes d’ascite tumorale, la carcinose peut être péritonéale primitive, comme dans le cas du mésothéliome, ou siéger dans un autre organe de l’abdomen ou du pelvis comme pour les tumeurs de l'ovaire. Dans les cancers ovariens, il est classique de considérer l’ascite sans cellule tumorale comme un stade moins avancé que celui où la cytologie est positive et que lorsque, macroscopiquement, on visualise les cellules sous forme d’une carcinose. De façon intuitive, on conçoit bien que ces dernières situations vont nécessiter un traitement antitumoral pour contrôler l’ascite. L’ascite peut aussi correspondre à la généralisation d'une tumeur située à distance, comme un cancer du sein, ou un mélanome. Dans ce cas, sa biologie est le plus souvent proche de celle du sérum.
L'ascite peut également être gélatineuse en cas de tumeurs mucoïdes, comme les maladies gélatineuses du péritoine ou dans certains cancers coliques. Elle est alors formée de dépôts de mucus en très grande quantité avec, au sein de la gélatine, un contingent cellulaire extrêmement faible. Là encore, on conçoit bien, intuitivement, que la chimiothérapie va avoir peu de chance de contrôler la maladie, puisque le nombre de cellules, de cibles potentielles, est limité. C’est pour ces maladies très particulières qu’une chirurgie itérative a été proposée pendant longtemps. Actuellement, la chimiothérapie intrapéritonéale est couplée à la chirurgie et à une hyperthermie (CHIP).
Quelles autres étiologies sont encore possibles ?
L’ascite peut aussi résulter de compressions vasculaires : celle des vaisseaux du foie par des métastases hépatiques qui engendrent une hypertension portale et un tableau similaire à celui d'une cirrhose. Le liquide est pauvre en protéines et sans cellule maligne. Selon un mécanisme comparable, la compression des vaisseaux lymphatiques rétropéritonéaux ou abdominaux par une volumineuse tumeur peut aboutir à l'extravasation de la lymphe qui filtre hors des vaisseaux et se collecte dans l'abdomen, à l’origine d’une ascite chyleuse, d'aspect laiteux, riche en graisse et sans cellule maligne.
Il ne faut pas oublier que l’ascite elle-même est capable de comprimer les vaisseaux et de modifier la perfusion rénale et donc d’induire un dysfonctionnement de la filtration glomérulaire qui va entretenir l’ascite.
Vider l’ascite est ainsi, le plus souvent, le premier geste à effectuer, car non seulement cela entraîne un soulagement rapide, mais aussi parce que ce geste peut rompre un véritable cercle vicieux et contrôler durablement l’ascite.
On peut le concevoir pour de volumineuses tumeurs, mais dans d’autres cas, cette ascite constitue généralement un facteur de mauvais pronostic au cours de l'évolution tumorale. Pour quelle raison ?
La prise en charge des ascites malignes est un vaste sujet qui touche de nombreuses spécialités et représente le plus souvent l’évolution terminale de carcinoses péritonéales. Ces carcinoses s’accompagnent de progression des masses tumorales qui, elles, induisent des douleurs puis des occlusions. L’ascite associée va souvent accentuer les signes de la carcinose, y associer une gêne abdominale qui peut être considérable, mais surtout induire progressivement une dénutrition qui constitue, avec l’hypoalbuminémie, une autre cause d’ascite et, en s’additionnant, peut conduire au décès. Il y a donc une forte intrication entre les masses tumorales et l’ascite pour réaliser cette grande détresse qu’est la carcinose péritonéale.
C’est pourquoi, il faut toujours éliminer les grandes dénutritions et les insuffisances cardiaques avant d’envisager des traitements plus spécifiques de l’ascite maligne.
Les thérapies ciblées et plus particulièrement les anticorps sont peut-être une des nouvelles thérapeutiques des ascites malignes ? Que pouvez-vous nous dire sur ces nouveaux traitements ?
N’oublions pas que le premier nom du VEGF a été celui de VPF (vascular permeability factor) et que l’un des articles le décrivant pour la première fois, publié il y a maintenant 25 ans dans Science, avait pour titre : « Tumor cells secrete a vascular permeability factor that promotes accumulation of ascites fluid ». Certaines études chez l’animal ont déjà pu démontrer l’importance du VEGF dans la formation des ascites malignes, mais également l’intérêt d’un traitement ciblant le VEGF pour réduire cette ascite. Il est donc tout à fait étonnant que jusqu’en 2007 aucune étude n’y ait été consacrée.
L’ascite maligne récidivante a des conséquences importantes pour le patient, nécessitant parfois plusieurs ponctions par semaine, avec une efficacité réduite, pour ne pas dire inexistante, des traitements à notre disposition quand la chimiothérapie n’est plus efficace et ne parvient plus à contrôler l’ascite. Cette lacune pourrait être comblée selon les résultats d’une étude de faisabilité fort intéressante, menée avec le bévacizumab (Avastin) administré en intrapéritonéal, à raison de 5 mg/kg une fois par mois, chez des patients présentant une ascite maligne réfractaire à un traitement diurétique, des ponctions d’ascite répétées et/ou une chimiothérapie intrapéritonéale. Les malades pouvaient recevoir, ou non, une chimiothérapie systémique. Neuf patients ont ainsi pu être traités (trois cancers coliques, trois cancers du sein, trois cancers de l’utérus et un cancer de l’ovaire). Les trois malades atteints de cancers gynécologiques recevaient également du cisplatine en intrapéritonéal. Avant traitement, tous avaient eu une récidive de leur ascite dans les deux semaines suivant une ponction de celle-ci. L’efficacité a été complète dans 9 cas sur 9 ! Avec une seule administration intrapéritonéale de bévacizumab, tous les patients ont vu leur ascite disparaître sans récidive sur une période d’observation médiane de 2 mois. En revanche, aucune réponse tumorale n’a été observée. Ce traitement est donc efficace sur l’ascite, mais pas sur la carcinose.
D’autres molécules semblent aussi efficaces, comme le catumaxomab (Removab). Cet anticorps monoclonal IgG2 hybride de rat/souris trifonctionnel est dirigé sur trois cibles : l’antigène EpCAM qui est une molécule d’adhésion épithéliale portée par les cellules tumorales ; l’antigène CD3 qui est exprimé sur les lymphocytes T matures, et enfin un troisième site de liaison fonctionnelle, au niveau du fragment Fc qui interagit avec les cellules immunitaires. Tout est ici nouveau, puisque ce type d’anticorps est très récent et que le principe de l’injection intrapéritonéale est aussi très récent et reprend ce qui a été fait avec les chimiothérapies et avec le bévacizumab. Malgré tout, le traitement est réellement codifié et les précautions sont exactement en phase avec ce que nous avons dit en général sur les carcinoses. Le patient doit présenter un état général suffisamment conservé avant le traitement par Removab, à savoir un indice de masse corporelle (IMC) › 17 (mesuré après drainage du liquide d’ascite) et un indice de Karnofsky › 60. Ces deux limites ne sont pas théoriques, mais extrêmement pratiques dans cette pathologie.
Parmi les derniers venus dans la prise en charge des ascites malignes, après les antisécrétoires et anticholinergiques, figure également une hormone : la somatostatine. L’octréotide (Sandostatine) ou le lanréotide (Somatuline), analogues synthétiques de la somatostatine, peuvent diminuer les sécrétions digestives d’un intestin grêle bloqué par un nodule de carcinose et permettre ainsi de diminuer la pression dans la lumière digestive. On conçoit bien qu’il est alors possible de lever un syndrome occlusif avec ce type de traitement qui peut donc être d’une aide importante en cas d’ascite chronique associée à une distension digestive.
Au total, la compréhension de la physiopathologie de l’ascite maligne devrait nous aider à améliorer sa prise en charge en déterminant, pour chaque situation clinique, des cibles moléculaires pour d’éventuelles thérapies ciblées, ou en proposant des arbres de prise en charge qui soient pertinents et rapides.
* Hôpital Lariboisière, Service de chirurgie générale et viscérale, hôpital Lariboisière, Paris.
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