PAR LE Dr JEAN-POL DEPOIX*
L’ASSISTANCE CARDIO-RESPIRATOIRE de première ligne pour la prise en charge des chocs cardiogéniques et des insuffisances respiratoires réfractaires aux traitements conventionnels est l’ECMO (extracorporeal membrane oxygénation). Elle peut fournir une assistance partielle ou complète et permet d’assurer les échanges gazeux et une perfusion satisfaisante au patient. Ce n’est pas un traitement curatif, mais un moyen de se donner du temps pour l’évaluation, le diagnostic et la mise en œuvre du traitement étiologique. L’ECMO ne doit n’être utilisée que lorsque le risque de mortalité avec un traitement conventionnel est estimé à plus de 80 %. Cette technique a des impératifs, sa durée doit être limitée, pas plus de trois semaines pour certains. Elle nécessite une anticoagulation et sa surveillance se fait exclusivement en réanimation.
Indications, bonnes et mauvaises.
Malgré l’absence de recommandations clairement formalisées, les indications variées, non uniformisées sur une population hétérogène, l’ECMO doit s’intégrer dans un
projet de soins. Actuellement, la principale indication est l’hypoxémie réfractaire. La chirurgie thoracique de transplantation pulmonaire, de fistule trachéale ou bronchique est également une indication. Elle est parfois également utilisée en attente de transplantation cardiaque, plus rarement de transplantation pulmonaire. Ces indications sont en cours d’évaluation dans quelques centres. L’expérience, le bon sens et le pragmatisme des décideurs doivent permettre de poser de façon rationnelle les indications, l’indication idéale étant la défaillance isolée d’organe, réfractaire au traitement habituel, avant la survenue d’une défaillance multiviscérale.
Actuellement, d’autres indications voient le jour et de nouveaux débouchés sont proposés à cette technique : choc septique, hémorragie intrapulmonaire, traumatisme thoracique, choc anaphylactique, inhalation de fumée, état de mal asthmatique, inhalation, obstruction des voies aériennes supérieures…
Le risque de l’ECMO est d’être victime de son succès. Son utilisation pour se donner le temps de la décision ne doit pas remplacer la réflexion. La pathologie doit être réversible, une possibilité thérapeutique doit exister. L’ECMO ne doit pas être envisagée si l’âge est trop avancé, la maladie trop évoluée (AVC, cancer), s’il existe une contre-indication aux anticoagulants, des défaillances multiviscérales, une possibilité de récupération sans qualité de vie acceptable.
Les contre-indications.
Il n’y en a pas de formelles, elles se discutent au cas par cas en fonction du rapport bénéfice/risque. L’âge n’est pas en soi une limite, l’obésité morbide peut poser des problèmes techniques à prévoir (canulation, débit d’assistance, etc.). Des contre-indications relatives sont parfois avancées par certains groupes en raison des mauvais résultats du traitement par ECMO : ventilation assistée de plus de sept jours avec FiO2› 90 % et pression plateau› 30 cmH2O, hémorragie intracérébrale récente, neutropénie récente ‹ 440/mm3.
Des résultats difficiles à interpréter.
L’ECMO a démontré son efficacité dans l’insuffisance respiratoire du nouveau-né à terme. Chez l’adulte, les résultats sont plus controversés. Il n’y a pas ou peu d’études randomisées, difficiles à conduire du fait du grand nombre de centres, du peu de patients et de l’hétérogénéité des pathologies et des indications. À cela, il faut ajouter la rapidité des avancées technologiques qui rendent difficile les interprétations des résultats. Une tendance à l’augmentation de la survie dans l’arrêt cardiaque du sujet jeune a été constatée. Mais au total, chez l’adulte les rapports complications/efficacité et coût/efficacité ne semblent pas en faveur de cette technique. Il se peut même qu’il n’y ait pas de différence entre ECMO et ventilation assistée en termes de survie à 30 jours, de durée de séjour en réanimation et de durée d’hospitalisation.
Le coût de la prise en charge.
Bien sûr, cette technique a un coût. Un ensemble machine-ECMO coûte environ 45 000 euros, le matériel à usage unique environ 2 300 euros, à quoi il faut bien entendu ajouter les coûts de prise en charge globale des soins, en particulier les produits sanguins. Une discussion médico-économique s’impose pour savoir si le surcoût engendré est acceptable au vu du pronostic du patient.
Une bonne utilisation de l’ECMO ne devrait avoir lieu que, si l’équipe dispose de perfusionnistes ayant une expérience de plus de cent circulations extracorporelles et deux ans de pratique clinique en chirurgie cardiaque. Cette exigence limiterait de fait le nombre de centres. Actuellement, seulement 10 % des ECMO sont implantés hors CHU.
L’ECMO est sûrement un bien, si, dans la prise en charge, on admet que deux situations existent :
– le retrait de l’ECMO en cas de futilité ou d’inexistence de thérapeutique active, c’est souvent la décision la plus difficile et la moins souvent prise ;
– le retrait de l’ECMO si le patient a récupéré.
En revanche, elle est probablement trop utilisée. La place de cette technique coûteuse pose question tant sur le plan des ressources financières que des ressources en personnel. Plusieurs craintes peuvent exister, comme le développement anarchique de la technique, en particulier dans l’arrêt cardiaque préhospitalier ou le risque de favoriser la survie de patients dans des conditions inacceptables pour eux et leur entourage. Mais le problème le plus important est l’absence de référentiels sur les indications, surtout sur les contre-indications de l’assistance par ECMO, cela s’expliquant par le manque de données de la science médicale. C’est sûrement ici que la raison doit l’emporter.
* Service d’anesthésie-réanimation chirurgicale, AP-HP, hôpitaux universitaires Paris-Nord-Val-de-Seine.
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