« Je pense qu’il faut rester prudent », déclare le Pr Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), en commentant la première étape d'un essai innovant lancé fin 2023 dans le traitement de l'insuffisance cardiaque. Nommé Secret-HF, il vise à tester la faisabilité et la sécurité d'une injection intraveineuse de « jus de cellules » cardiaques chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée.
Lors d'une précédente étude nommée Escort, le chirurgien refusait déjà, en 2015 dans Le Quotidien, de faire du « triomphalisme ». Neuf ans après la première opération chirurgicale consistant à poser un patch en fibrine sur le cœur du patient, il considère aujourd'hui qu'elle a été « un succès », précisant que « la patiente se porte bien ». Il s'agissait de la première greffe de cellules progénitrices cardiaques issues de cellules souches embryonnaires sur des patients atteints d'insuffisance cardiaque.
« Aujourd'hui, sept essais dans le monde dupliquent cette étude pour la perfectionner », précise le chirurgien cardiaque, fier d'avoir un rôle « d'initiateur » dans ce domaine.
L'intérêt d'utiliser le sécrétome
Néanmoins, au cours de l'étude Escort, il constate que les cellules sont en partie détruites. Nisa Renault, postdoctorante à l'époque, a alors mené une expérience et permis de mettre en lumière l'effet équivalent de l'utilisation de sécrétome, ce que les chercheurs appellent le « jus de cellules ».
« Ces injections de sécrétome ont montré une amélioration de la fonction cardiaque », développe le Pr Albert Hagège, cardiologue et directeur du département médico-universitaire cardiovasculaire à l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), co-investigateur avec le Pr Menasché de l'essai clinique Secret-HF.
Ce sécrétome est produit à partir de progéniteurs cardiaques identiques à ceux qui étaient greffés en patch dans l'étude Escort. « La seule différence est qu'ils ne sont plus différenciés à partir de cellules souches embryonnaires mais à partir d’iPS pour des raisons pratiques », commente-t-il. Il salue une collaboration très fructueuse entre l’AP-HP et l’entreprise spécialisée dans les iPS, FujiFilm-CDI, qui les fournit.
Le Pr Menasché précise : « L’intérêt d’utiliser le sécrétome par rapport aux cellules est qu’il n’est pas immunogène donc c’est une manière de s’affranchir des contraintes et des risques de l’immunosuppression ». Il glisse également, au cours de la conversation : « J’aimerais qu’on cite mon collègue le Pr Jérôme Larghero, directeur du centre Meary de thérapie cellulaire et génique sans qui rien n’aurait été possible ».
La voie intraveineuse reste mystérieuse
« Les effets étaient similaires que le produit soit injecté directement dans le cœur ou par voie intraveineuse », ajoute le Pr Hagège. Pourtant, toutes les études de biodistribution montrent que, lorsque des cellules ou du sécrétome sont injectés par voie intraveineuse, ils ne vont pas dans le cœur, mais dans la rate, les poumons et le foie. « On pourrait donc se dire que ça ne sert à rien. Sauf que, plusieurs essais ont montré un bénéfice cliniquement pertinent sur le cœur après une injection intraveineuse de cellules », explique le Pr Menasché.
Comment est-ce possible alors même que le produit thérapeutique n’arrive pas dans le tissu cible ? « L'hypothèse privilégiée, supportée par des travaux expérimentaux, est qu'a priori, lorsqu'on injecte des cellules ou du sécrétome, il y a une modification du système immunitaire endogène », avance le chirurgien.
Les cellules ou le sécrétome induiraient des modifications du phénotype des cellules immunitaires et les réorienteraient dans une fonction réparatrice. « Cette reprogrammation systémique du système immunitaire, alors que les cellules immunitaires circulent dans le sang, va ainsi permettre les effets bénéfiques à distance », développe-t-il.
Un traitement alternatif non invasif
Dans le cadre de l'essai de phase 1 de Secret-HF, un premier patient, âgé de 60 ans, a ainsi reçu des injections il y a un mois. Les Pr Hagège et Menasché espèrent démontrer l’innocuité de l’injection intraveineuse de sécrétome sur 12 patients présentant une dysfonction ventriculaire due à une cardiomyopathie dilatée non ischémique. « Il faudra attendre pour évaluer l’efficacité du traitement (qui a été montré sur des animaux). Pour l’instant, nous n’avons pas observé d’effets secondaires inattendus ou de rejet », se réjouit le Pr Hagège.
L’insuffisance cardiaque touche 2 % de la population. Elle est responsable de 32 000 décès par an en France. « Les médicaments limitent les symptômes et retardent les complications. La greffe cardiaque est possible mais c’est une procédure invasive lourde, difficile à mettre en place », décrit le Pr Hagège. L'injection intraveineuse de sécrétome permettrait de proposer un traitement alternatif non invasif.
Le Pr Menasché souhaite surtout démocratiser la technique : « L'étude Escort était très invasive, rappelle-t-il. Si aujourd’hui une technique doit se développer, elle doit être relativement simple, économiquement soutenable et applicable à beaucoup de patients dans des conditions raisonnables ». Les choses sont en effet bien plus simples avec le sécrétome. « Là, nous avons 260 flacons à -80 °C, et quand il y a besoin, nous pouvons en décongeler deux, trois ou quatre selon le poids du malade, les mettre dans une poche de NaCl et en 40 minutes le patient est perfusé par voie intraveineuse, décrit-il. Ce traitement pourrait même se faire en hôpital de jour. »
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