« Revasculariser un infarctus du myocarde (IDM) ST+ passé 12 heures reste très débattu. Aux États-Unis, ce geste est réservé au patient avec une ischémie clinique et électrique, alors qu’en Europe on a tendance à être plus invasif », soulignent les Drs Gerbaud et Bouisset. On manque en effet de données, mis à part l’étude randomisée BRAVE-2 qui avait inclus 365 patients en 2005. Sans compter que depuis 15 ans, les techniques d'angioplastie et la pharmacopée, avec l'arrivée des nouveaux antiagrégants plaquettaires, ont largement évolué. « Pour y voir plus clair, en l'absence d'étude randomisée difficile à proposer dans ce contexte, nous avons analysé les données des registres FAST-MI. Notre étude montre que la revascularisation tardive améliore significativement le pronostic à la fois à court et long terme des patients (1,2) », résument les Docteurs.
Près de 20 % des IDM ST+ déclarés plus de 12 h après la survenue des symptômes
L'analyse porte sur les registres FAST-MI des années 2005, 2010 et 2015 regroupant sur de très nombreux centres français les IDM ST+ et ST-, survenus dans le mois. Parmi eux, on recense plus de 6 000 IDM ST+, dont 19 % (1 169 patients) arrivés plus de 12 heures après les premiers symptômes. Soit 1 077 patients « tardifs », une fois exclus ceux thrombolysés ou décédés dans les deux jours suivant leur admission. De manière satisfaisante, le taux de patients tardifs a d'ailleurs décru entre 2005 et 2015 passant de 23 % à 16 %.
Comparativement aux sujets arrivés plus tôt, dits « précoces » (environ 5 000 patients), leur temps médian entre les symptômes et l'arrivée en soins intensifs est de 20 heures versus 3,5 heures. Par ailleurs, leur profil de risque est plus défavorable en termes d'âge, de diabète, d'antécédents. Ce sont également plus souvent des femmes. Les facteurs de risque indépendants de prise en charge tardive se résumant à l'âge, au diabète, à la présentation atypique, à un antécédent d'insuffisance cardiaque (IC) et à l'arrivée via les urgences quand a contrario un antécédent d'IDM est un facteur d'arrivée précoce.
Au sein de ces patients tardifs, globalement sur ces trois registres, plus de deux tiers ont été revascularisés (68 %, 729 patients) dans les 48 heures. Cette proportion a d'ailleurs progressé passant en 10 ans de 67 % (FAST-MI 2005) à 83 % (FAST-MI 2015).
Cette revascularisation tardive a donné de moins bons résultats (Flux TIMI 2-3 : 80 % chez les patients tardifs versus 89 % pour les précoces ; p < 0,001). À leur sortie, l’aspirine, les autres antiagrégants et les statines ont été moins prescrits. En revanche, on observe plus de diurétiques et autant de bêtabloquants et d'inhibiteurs du système rénine-angiotensine.
Un meilleur pronostic qu'en l'absence de revascularisation
Les patients tardifs, qui ont été revascularisés, sont : plus jeunes (63 versus 70 ans), moins hypertendus (49 % versus 65 %) et plus souvent fumeurs (45 % versus 27 %). Ils ont plus d'antécédents coronaires familiaux et moins de comorbidités de type IC ou insuffisance rénale. Enfin, ils ont été revascularisés dans un délai décent, même s'il est bien supérieur à celui de la revascularisation des patients précoces (médiane : 5,4 heures versus 1,4 heures).
À 30 jours, la mortalité est de 2,1 % versus 7,2 % chez les non revascularisés. Les récidives d'IDM sont aussi réduites (0,6 versus 1,7 %).
Au terme du suivi médian de presque cinq ans, on enregistre 30 décès/1 000 patients années versus 79 décès/1 000 patients années, avec à nouveau moins de récidives d'IDM (5,4/1 000 patients années versus 11/1 000 patients années).
En analyse multivariée, après de multiples ajustements (notamment sur l'année d'admission, l'âge, le tabagisme, les antécédents coronaires familiaux et personnels...), la revascularisation tardive reste associée à une réduction significative de la mortalité, réduite de 35 % à long terme.
Mener des explorations avant de décider
« Les patients étudiés ont pour la plupart été revascularisés dans les 12 à 48 heures. Il aurait été intéressant d'analyser le bénéfice en fonction du timing mais c'était trop complexe. On a toutefois ici des données solides. Les registres FAST-MI (dirigés par le Professeur Nicolas Danchin [HEGP, Paris], secondé par le Professeur Jean Ferrières, [CHU Rangueil, Toulouse]) sont bien rodés avec un suivi à long terme. Ce résultat pourrait donc venir influencer les recommandations en faveur d’une stratégie invasive au-delà des 12 heures. De nombreux cardiologues français sont déjà assez favorables à la revascularisation tardive comme le montre la pratique dans ce registre. Le message à retenir est sûrement que devant un IDM ST+ se présentant dans les 12 à 48 heures, il ne faut pas hésiter à envoyer le patient en coronarographie pour une exploration invasive. On est en effet face à une population très hétérogène. Ce qui impose de poser l'indication de revascularisation sur des critères à la fois cliniques et angiographiques. Mais surtout l'indication doit être pesée puisqu'il y a manifestement un important bénéfice pronostique à revasculariser même tardivement ces patients », ajoutent les Drs Bouisset et Gerbaud.
D'après un entretien avec les Drs Édouard Gerbaud (CHU de Bordeaux) et Frédéric Bouisset (CHU de Toulouse)
(1) Bouisset F, Gerbaud E, et al. Percutaneous Myocardial Revascularization in Late-Presenting Patients With STEMI. JACC 2021;78:1291-1305.
(2) Kastrati A et al. Primary PCI, Late Presenting STEMI, and the Limits of Time. JACC 2021;1306-08
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