Pr François Roubille : « Il faut cibler la composante inflammatoire de la maladie coronarienne »

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Publié le 21/03/2024
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Le Pr François Roubille, chef de service de l’Unité de soins intensifs cardiologiques du CHU de Montpellier, revient sur la prise en compte progressive en pratique clinique de la composante inflammatoire de la maladie coronarienne. Avec une première molécule, la colchicine qui est désormais recommandée en cas de maladie coronarienne récidivante, mais d’autres pourraient suivre.

Crédit photo : Gabrielle Voinot

Le poids de l’inflammation dans la physiopathologie dans la maladie coronarienne est bien démontré depuis plusieurs décennies. Dès les années 1970, des données épidémiologiques ont révélé une surmortalité cardiovasculaire parmi les patients atteints de pathologies inflammatoires telles que le lupus, la polyarthrite rhumatoïde, etc. Et des infiltrats de cellules inflammatoires ont rapidement été observés en laboratoire au sein de plaques d’athérome.

Cependant, l’intérêt de cibler cette composante inflammatoire de la maladie coronarienne en thérapeutique a longtemps fait débat. Et pour cause : les effets indésirables cardiovasculaires des anti-inflammatoires stéroïdiens à forte dose sont décrits depuis longtemps. De plus, l’utilisation d’inflammatoires stéroïdiens, ou non stéroïdiens à plus faible dose mais au long cours, s’est aussi avérée délétère dans la maladie coronarienne. Et dans les années 2000, des essais de médicaments anti-inflammatoires dans cette indication ont donné des résultats négatifs.

L’apparition des biothérapies anti-inflammatoires a toutefois changé la donne. Ainsi, en 2017, dans l’essai Cantos, l’administration de canakinumab a abouti à une réduction à la fois de l’inflammation mais aussi des évènements cardiovasculaires (infarctus, AVC, mort de cause cardiovasculaire) chez des patients présentant des antécédents d’infarctus du myocarde. « Si le canakinumab n’a pas été positionné dans cette indication, du fait de son coût élevé et de cas d’infections graves sont survenus pendant Cantos, cette étude a tout de même fourni une preuve de concept, et ravivé la recherche sur l’intérêt des anti-inflammatoires dans la maladie coronarienne », explique le Pr François Roubille (CHU de Montpellier). Ainsi, le méthotrexate a été testé en 2019 – avec, là encore, des résultats négatifs.

La colchicine recommandée, et d’autres anti-inflammatoires à l’essai

Finalement, la colchicine a donné lieu à plusieurs essais cliniques positifs. Citons d’abord l’étude Colcot, publiée dans le NEJM en 2019 qui a montré, chez environ 5 000 patients recrutés dans les 30 jours suivant un infarctus du myocarde, qu’une faible dose de colchicine (0,5 mg) permettait de réduire le risque d’évènements cardiaques majeurs (HR = 0,77). Puis, l’année suivante, l’essai LoDoCo2 a confirmé une efficacité de 0,5 mg colchicine pour éviter les évènements cardiaques majeurs, cette fois chez des patients manifestant un syndrome coronarien chronique, stable. Depuis, des méta-analyses examinant nombre de petites études additionnées aux précédentes, ont elle aussi conclu à une réduction de la mortalité cardiovasculaire sous colchicine.

Si bien que la colchicine a reçu une approbation de la Food and drug administration (FDA) en prévention des évènements cardiovasculaires chez des patients présentant une maladie coronarienne ou de multiples facteurs de risque cardiovasculaire. Et la Société européenne de Cardiologie préconise désormais le médicament à la dose de 0,5 mg chez les patients, en prévention secondaire chez des patients atteints de maladie coronarienne récidivante ou présentant des facteurs de risque insuffisamment contrôlés (recommandation de grade IIb).

D’autres médicaments suscitent un intérêt : corticoïdes (dans certaines situations aiguës), rituximab, anti-IL-33, et certains anti-IL-6 – prometteurs du fait de leur effet très en amont dans la cascade inflammatoire.

Mesures hygiénodiététiques anti-inflammatoires

Des recherches relativement fondamentales visant à mieux comprendre les effets anti-inflammatoires de la colchicine pourraient par ailleurs faire émerger, à terme, de nouvelles voies de traitement – par exemple dans un objectif de neuroprotection après un infarctus, ou de réduction des arythmies. À noter que d’autres molécules anciennes, déjà utilisées en cardiologie qui pourraient avoir un effet anti-inflammatoire (statines, certains bêtabloquants), suscitent des études en ce sens.

Les mesures hygiénodiététiques de réduction du risque cardiovasculaire (activité physique, régime méditerranéen) comportent aussi une composante anti-inflammatoire, d’où un argument supplémentaire pour les conseiller. En effet, un des mécanismes de cardioprotection associée à l’activité physique concernerait cette activité anti-inflammatoire. Au contraire, la sédentarité, une alimentation déséquilibrée, le tabac, l’alcool, etc. , se révèlent très pro-inflammatoires.

Fausse image de la colchicine en France

Malgré toutes ces données, la prise en compte de cette composante inflammatoire de la maladie coronarienne suscite des débats.

D’abord, certains souhaiteraient aller plus loin, et recourir à des biomarqueurs de l’inflammation tels que la CRP, dans un objectif de dépistage ou de surveillance. « Toutefois, le dosage de la CRP ultrasensible n’est pas recommandé à l’heure actuelle du fait de difficultés d’interprétation », note le Pr Roubille.

Et surtout, la colchicine pâtit en France d’une mauvaise image, qui pourrait freiner nombre de prescriptions, au regard de sa mauvaise tolérance notamment digestive. « Ces effets indésirables ne seraient pas imputables à la molécule elle-même, mais à la poudre d’opium contenue dans la spécialité Colchimax, et ne sont généralement pas retrouvés aux faibles doses préconisées dans la maladie coronarienne », prévient le Pr Roubille.

Des effets secondaires sont bénins et rares dans les études cardiologiques, dans lesquelles la tolérance à cette petite dose est au final excellente, y compris au long cours – il faut toutefois respecter les contre-indications, à savoir principalement l’insuffisance rénale.


Source : lequotidiendumedecin.fr