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Dossier

Cardiologie

Un congrès virtuel mais des avancées bien réelles

Publié le 17/04/2020
Un congrès virtuel mais des avancées bien réelles

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ToheyVector /adobe stock

Coronavirus oblige, la réunion annuelle de l’American College of Cardiology a déserté Chicago pour devenir virtuelle. Si les résultats présentés à cette occasion ont été quelque peu occultés par les actualités virales, ils n’en ont pas moins un intérêt certain, en particulier en ce qui concerne l’insuffisance cardiaque ainsi que la maladie artérielle périphérique et la maladie thromboembolique veineuse. 

AOD, nouveaux résultats dans l’AOMI et la MTEV liée au cancer

Les AOD n’ont pas dit leur dernier mot… En témoignent deux nouveaux essais présentés à l’occasion du congrès de l’ACC (28-30 mars) qui pourraient changer les pratiques.

Le premier, Voyager-Pad, est la suite logique de l’étude Compass qui avait montré chez des patients coronariens stables et/ou atteints de lésions périphériques (AOMI ou lésions carotidiennes) que l’association de l’aspirine à de petites doses de rivaroxaban (2,5 mg x 2) diminuait significativement les évènements cardiovasculaires par rapport à l’aspirine seule, au prix d’un surrisque hémorragique mais avec une balance bénéfice/risque restant nettement en faveur de l’association. Les 6 564 participants à Voyager-Pad avaient une AOMI plus évolutive puisqu’ils avaient tous été revascularisés, avec un taux de complications vasculaires quatre fois plus élevé que les sujets n’ayant jamais été revascularisés. Or aucun traitement antithrombotique n’a réellement été validé dans cette population, les recommandations étant essentiellement émises par analogie avec la pathologie coronaire. Dans l’AOMI en général, les études avec l’aspirine ont donné des résultats pour le moins mitigés, l’utilisation du clopidogrel repose sur les données déjà anciennes de l’étude Capri, la double antiagrégation plaquettaire clopidogrel/aspirine n’a pas fait ses preuves, enfin une étude plus récente avec le ticagrelor n’a pas permis d’observer de bénéfice. Un antiagrégant plaquettaire, le voraxapar, avait montré un bénéfice mais n’a jamais été disponible en France du fait d’un surrisque hémorragique.

Dans Voyager-Pad, les résultats de l’association aspirine/rivaroxaban sont nettement significatifs, avec une diminution de 15 % (HR=0.85, p=0.009) des évènements du critère primaire (ischémie aiguë de membre, amputation, IDM, AVC ou décès CV), un bénéfice tiré par la réduction des ischémies aigües. Concernant les saignements, il n’y a pas de différence selon le score TIMI mais on observe une augmentation du score de l’International Society for Thrombosis and Hemostasis (ISTH), plus global (HR=1,42, p=0,007). « En traitant 10 000 patients, on évite 181 épisodes du critère primaire au prix de 29 épisodes hémorragiques, avec donc un bénéfice net majeur », explique le Dr Serge Kownator. « Avec cette 2e étude qui montre le bénéfice de cette stratégie avec le rivaroxaban à faible dose, on espère faire avancer les choses et obtenir son remboursement en France dans cette indication ».

Pour sa part, l’étude Caravaggio rassure quant à la sécurité des AOD dans la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) associée aux cancers. Ces complications concerneraient 20 % des patients atteints de cancer, avec un taux élevé de complications et de décès. Jusqu’ici, le traitement reposait sur l’HBPM pendant six mois suivie éventuellement par des AVK. Deux études récentes ont montré la non-infériorité d’un AOD par rapport à l’HBPM. Mais le risque hémorragique plus marqué, en particulier au niveau digestif, avait amené les diverses recommandations à éviter les AOD en cas de cancer digestif. L’étude Caravaggio menée chez 1 170 patients atteints de cancer et présentant une TVP ou une EP montre la non-infériorité de l’apixaban par rapport à l’HBPM sur les évènements thrombotiques sans surrisque hémorragique, y compris en cas de tumeurs digestives. « Ce qui va permettre d’adopter l’AOD d’emblée avec une meilleure qualité de vie pour ces personnes », conclut le cardiologue.

Les anti-PCSK9 bénéfiques sur le risque thromboembolique veineux

De façon plus surprenante, de nouveaux résultats suggèrent que les anti-PCSK9 pourraient être bénéfiques dans la prévention du risque thromboembolique veineux. Des études menées avec les statines suggéraient déjà un bénéfice sur la survenue d’une MTEV. Une analyse post hoc de l’étude Fourier (conduite avec l’evolocumab) et une méta-analyse des essais Fourier et Odyssey Outcomes (alirocumab) montrent une réduction significative du risque de MTEV sous anti-PCSK9 qui peut aller jusqu’à 50 %. Il n’y a pas de lien entre la baisse du LDL-c et la réduction du risque, qui est par contre significativement corrélée à l’amplitude de la baisse des lipoprotéines a (Lp(a)) que les statines ne réduisent pas. Le rôle thrombogène de la Lp(a), déjà évoqué au niveau artériel, serait également observé au niveau veineux.

Insuffisance cardiaque : deux nouvelles molécules prometteuses

Après avoir été longtemps le parent pauvre de la cardiologie, l’insuffisance cardiaque (IC) bénéficie depuis quelques années d’une recherche active. Les dernières études avaient déjà marqué une avancée avec le sacubitril/valsartan puis les gliflozines. Le vericiguat inaugure une nouvelle classe thérapeutique qui pourrait faire franchir une nouvelle étape à la prise en charge de l’IC décompensée. Ce médicament active la guanylate cyclase, enzyme impliquée dans la voie de signalisation du NO. L’essai Victoria l’a évaluée chez plus de 5 000 patients atteints d’IC en stade II à IV, avec une FEVG<45 % et recevant déjà un traitement optimal, y compris l’association sacubitril/valsartan, pour certains patients. Après un suivi médian de 11 mois, les évènements – décès CV ou hospitalisations pour IC – sont réduits de 10 %, le bénéfice étant essentiellement lié à la diminution des hospitalisations. Le petit surrisque d’hypotensions symptomatiques et de syncopes n’est pas significatif. « D’autres essais sont indispensables pour préciser la place éventuelle du vericiguat parmi les autres traitements de l’IC», concluait Paul W. Armstrong (Canada), « ainsi que dans l’IC à fonction systolique préservée où les alternatives thérapeutiques manquent toujours. »

Une autre nouvelle molécule s’avère efficace dans la cardiomyopathie hypertrophique non-obstructive, qui n’a jusqu’ici pas de traitement spécifique : le mavacamten. Cet inhibiteur de la myosine a des effets inotropes négatifs et améliore la relaxation myocardique. Dans l’essai de phase II Maverick-HCM, il réduit la FEVG, le NT-proBNP et la troponine et améliore le statut fonctionnel avec un profil de tolérance globalement bon. 

D’après un entretien avec le Dr Serge Kownator, Centre cardiologique et vasculaire Cœur de Lorraine (Thionville), secrétaire général de la Société française de cardiologie.

En bref

> Pas de revascularisation systématique chez le coronarien stable  

L’étude Ischemia confirme la prééminence du traitement médical chez le coronarien stable, y compris en cas d’ischémie modérée à sévère. La stratégie invasive systématique – angiographie suivie si besoin d’une angioplastie – ne fait pas mieux sur les évènements CV que le traitement médical seul avec angiographie en cas d'échec. 

> Quand vapotage rime avec sevrage

Une étude menée chez 376 personnes souhaitant arrêter de fumer les a randomisés en trois groupes, un tiers bénéficiant de cigarettes électroniques à la nicotine, un autre de cigarettes électroniques sans nicotine et le troisième de simples conseils. Après 3 mois, 21,9 % des sujets prenant des e-cigarettes à la nicotine ont arrêté de fumer vs 17,3 % pour les e-cigarettes sans nicotine et 9,1 % pour ceux sans e-cigarette. Avec la e-cigarette à la nicotine, la chance d’obtenir un sevrage est multipliée par 2,4 par rapport à l’absence d’e-cigarettes. Chez les participants qui ne sont pas parvenus à se sevrer, la consommation de tabac a été réduite de 61 % avec la e-cigarette à la nicotine, 45,7 % avec la e-cigarette neutre et 30,9 % en l’absence de tout vapotage. Par ailleurs, l’étude n’a pas relevé d’atteinte pulmonaire liée au vapotage. On attend le suivi à un an pour observer l’évolution de l’abstinence. 

> Où on reparle de la dénervation rénale

Comme le souligne le Dr Kownator, « les résultats hétérogènes de la dénervation rénale l’ont fait rejeter aussi vite qu’on l’avait encensée, et l’ambiguïté autour de cette procédure n’est toujours pas complètement levée ». L’étude Spyral HTN-OFF MED relance le débat. Dans cet essai mené en simple aveugle chez 331 hypertendus non traités, la dénervation rénale réduit en moyenne de 3,9 mmHg la PAS des 24 heures et de 6,5 mmHg la PAS de consultation à 3 mois. Un effet qui pourrait être supérieur avec un suivi plus long, selon les investigateurs. Il n’y a pas de complications de la procédure à déplorer. L’essai prouve donc bien l’efficacité de la dénervation rénale, mais peut-elle suffire à elle seule à réduire l’HTA et quelles pourraient être les applications en pratique dans la mesure où l’essai a été mené chez des patients non traités ?

> TAVI et chirurgie font jeu égal dans le faible risque chirurgical 

Dans l'étude Partner 3, le remplacement valvulaire aortique par cathétérisme cardiaque (ou TAVI) faisait significativement mieux à un an que la chirurgie sur le critère de jugement principal – mortalité toutes causes, AVC ou réhospitalisations. À deux ans, avec 11,5 % d’évènements vs 17,4 % (p = 0,007), il est considéré comme non-inférieur. À noter, un taux plus élevé de thromboses valvulaires après TAVI (2,7 % vs 0,7 %), sans altération du fonctionnement de la valve toutefois. 

Dr Maia Bovard-Gouffrant

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